SAGESSES DE GUERRE ?
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde
Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser, comprendre, imaginer.
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Comment Glanposs et Tarmin se désaccordent sur le mécontentement du peuple en lien avec l’épidémie de peste grippale.
Cher Tarmin,
Il y a quelques jours, Dame Erika fut fort courroucée des doléances et récriminations adressées à nos bons dirigeants. Car ils luttent bravement contre le mal viral qui nous ronge depuis une année maintenant. Mais le peuple ne semble pas satisfait, ni les échotiers dont les papiers tournent à l’acide, ni les tenanciers dont les auberges restent closes, ni les parents qui voient leurs petiots s’étioler… Dame Erika, elle-même rompue dans l’art du combat contre la maladie, eut un mot clair et ferme : « arrêtez de râler ». Je ne puis que souscrire à son vif propos, convaincu qu’il est temps du contretemps.
Il y a peu encore, de doctes épidémistes se ruaient à la Cour, divers académiciens imaginaient joyeusement notre futur, et les lecteurs d’une grande gazette décernaient à Madame de Wilmes le titre de « personnage de l’année ». L’icelle gouverna pourtant de telle sorte que notre royaume figurât parmi les contrées les plus touchées par le mal universel ; de quoi rester coi. Pour l’heure, à l’inverse, la bronca enfle. Or, il me semblerait opportun de voir davantage le bon que le mauvais.
D’abord, l’état du pays s’est modifié. Certes, la mortalité y est bien plus familière qu’ailleurs. Mais voyez notre économie. Des Cassandre en prédisaient l’effondrement de 10% l’an passé et nous n’en perdîmes que 6,2 ; nous faisons moins bien que nos Germains cousins, mais mieux que nos parents français et même que la moyenne de la zone d’euromonnaie.
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Puis, la perspective est maintenant tout autre. Il y a le nouveau remède qui devrait nous permettre de reprendre bientôt le cours de nos vies. Il est vrai que la campagne de distribution n’est pas sans anicroche, mais là aussi nous sommes pour l’instant dans la moyenne de nos voisins pays. Même si Dieu seul sait à quel degré nos existences seront tourneboulées, nous devrions sans doute pouvoir recommencer à circuler, tenir nos cénacles, deviser à l’estaminet. À l’automne dernier, qui eut parié un sou là-dessus ?
Ce changement de perspective appelle un changement de posture. Au milieu de la nuit, qu’avions-nous de mieux à faire que dormir, ou rêver, ou râler ?… Mais maintenant que le jour pointe et avec lui une liberté d’ouvrage retrouvée, n’est-il pas temps de nous demander comment nous allons agir ? Car si nos magistrats et maîtres sont englués dans les tiraillements avec les Parlements de Namur ou des Flandres, si quelque turpitude des pigeons pose visiblement problème au système de poste, rien ne nous empêche de contribuer chacun à notre niveau.
Je partage
Très vite nos rues seront pleines de pauvres et nos hospices emplis de fous.
À côté de l’État, il y a le Tiers-État ! Il y a nous, simples manants qui pouvons salir nos chausses : nos apothicaires pourraient proposer avec conviction de participer à la distribution des remèdes, nos savants imaginer de nouvelles façons de donner leurs leçons en bonne adéquation aux bâtis, nous pourrions dépenser une part de notre épargne plutôt que de thésauriser et, quand nous n’en pouvons plus d’être esseulés, nous pourrions aller chercher la chlorophylle ailleurs que dans les parcs noirs de peuple. Bref : nous n’avons pas besoin de la becquée des puissants pour prendre des initiatives intelligentes.
Cher Tarmin, faire preuve d’optimisme semble en ce moment bien suspect. Tant pis : c’est la nuit qu’il faut croire au jour. La promesse de l’aube est une promesse d’ouverture, de relation, de plaisir. C’est à nous qu’il incombe de la tenir.
Votre dévoué,
Glanposs.
Cher Glanposs,
Comme à l’accoutumée, vous êtes bien gentil et, permettez-moi l’outrage, quelque peu risible.
Si je vous comprends bien, vous vous réjouissez du renouveau après l’effroyable et si mortel épisode de la méchante fée FildeFer et de son adjointe la bécasse fée Bouboule. Car, enfin, nous arriverions dans les fameuses moyennes… Ah les moyennes, les moyennes vous dis-je !
Soyons sérieux Glanposs.
Pour ce qui est de cette épidémie, ne voyez-vous pas que l’enfermement domestique, qui a certes permis de limiter la transmission du mal, a surtout mis sous le boisseau de terribles maux ? Très vite nos rues seront pleines de pauvres et nos hospices emplis de fous. Ne voyez-vous pas que le recul limité de notre commerce n’est que le résultat des stabilisateurs économiques imposés par la rigidité des corporations syndicales ? Au bout du compte, nous avons permis aux plus nantis de grossir leur cassette de réserve alors même que les caisses de l’État se vidaient ; les plus petits n’ont pas épargné, ne sont pas épargnés, se trouvent au plus mal. Et ne voyez-vous pas que la répression commence à faire rage, que le bon vouloir de la Lieutenance générale de Police se fait mauvais ?
Nos dirigeants ont dans ce naufrage une responsabilité décisive. Ne comptez pas sur moi pour faire comme s’ils n’étaient que des automates. Ce sont bien des hommes et des femmes qui nous gouvernent. Ils ont leur libre arbitre et nous sont redevables d’explications. Ils doivent aussi nous éclairer, nous orienter, nous inspirer. Or, voyez par exemple cet archi-particrate qui fanfaronne sa misérable petite fronde domestique, se vante de rencontrer plus de monde qu’autorisé !
Pourtant tout ne tient pas à l’insuffisance de petits ‘moi’ haïssables. En fait, nos parlements viennent de disparaître dans un glissement de terrain. Ce n’est que logique, puisque leurs membres se censurent eux-mêmes par peur de ne plus émarger à la soupe. Sans être adoubés par leurs partis, ils ne pourront concourir en bonne place aux prochaines élections ni jouir des fonds disponibles. Car les partis sont parmi les rares endroits de l’édifice public qui regorgent d’or. Le plus vigoureux d’entre eux, la Nouvelle Alliance des Flandres, disposait il y a quelques mois de 30 millions sur son compte.
Les autres ont moins ? Qu’à cela ne tienne ! Profitons de ce que la chrétienté unie d’Europe nous offre 6 milliards pour officiellement préparer l’avenir. Et utilisons cette manne afin de remplir les caisses des compagnies de bonnets rouges en prolongeant des lignes de calèches de Liège et Charleroi, celles des bonnets bleus en restaurant le palais de justice de Bruxelles, celles des bonnets orange en dotant notre port d’Anvers-Bruges de grosses bouteilles pour énergie du futur…
Vive l’ouverture, la relation, le plaisir de l’aube ! Vive la confiance accordée à des gens qui la méritent ! Vive ce meilleur des mondes possibles !
Vraiment ?
Bien vôtre,
Tarmin
Je découvre
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
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Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
Encore !
Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?
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