SAGESSES DE GUERRE ?
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde
Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser, comprendre, imaginer.
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La question de la communauté n’est-elle pas en train d’étouffer sous celle des communautés ? Pour oxygéner le débat, ne faut-il pas passer du nom au verbe ?…
« On nous dit parfois, écrivait Camus, que nous avons un monde à refaire. C’est peut-être vrai. Mais nous ne le referons que lorsque nous lui aurons donné un dictionnaire ».[i] Le mot « communauter » devra y figurer.
Car, récemment, le président du MR Georges-Louis Bouchez tweetait : « La notion même de communauté est problématique. Ne pas comprendre que dans une démocratie libérale, il n’y a pas de communauté mais des individus libres et égaux en possibilités est une faute. [ii]»
Ce bégaiement a de quoi surprendre : pourquoi répéter les mots de Thatcher qui affirmait déjà en 1987 que « la société n’existe pas ! Il y a des individus hommes et femmes »[iii] ? Pourquoi essayer de faire du neuf avec du vieux qui a mené aux émeutes ? On peut craindre pour la santé du débat politique. N’en sommes-nous pas au trouble délirant, une pathologie caractérisée par le déni ?
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Un premier déni de réalité saute aux yeux. Article 1 de notre constitution : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions. ». Les questions communautaires occupent notre pays depuis 50 ans. Leur enjeu est celui de la concorde, « la paix communautaire » obtenue par un système de protection des minorités et d’équilibres. La question institutionnelle n’aurait rien à voir avec le danger communautariste ? Alors pourquoi la Sureté de l’État met-elle les menaces islamistes et d’extrême-droite nationaliste dos-à-dos[iv] ?
Un second déni pointe en creux : l’urgence n’est pas l’appartenance à tel ou tel groupe, mais la non-appartenance.
Les personnes vivant seules et les familles monoparentales représentent 45% de la population du pays, contre 39% il y a 20 ans.
Depuis des années, les liens s’estompent entre les individus, de plus en plus isolés. Un ménage sur trois est une personne vivant seule,[v] et les familles monoparentales représentent 10% des ménages. En additionnant ces deux catégories, on arrive à 45% de la population du pays, contre 39% il y a 20 ans ; à Bruxelles, c’est 58%… Quant au volontariat, la Belgique fut longtemps considérée comme une terre de fort engagement. Mais après une harmonisation de notre méthode de calcul aux standards internationaux, il apparaît que nous avons moins de 900.000 volontaires : 9,2% de la population, trois fois moins qu’en Irlande, cinq fois moins qu’en Suisse[vi].
Cet isolement des individus pose problème à deux niveaux. Au plan de l’existence personnelle, il complique la vie matérielle. Le risque de pauvreté et d’exclusion touche en moyenne un Belge sur cinq, mais une famille monoparentale sur deux[vii]. Il réduit aussi le sentiment de satisfaction dans la vie[viii], et on peut penser qu’il contribue à la détresse psychologique. Celle-ci touche 17% des Belges, croissant depuis 20 ans[ix].
Au plan politique, comment ne pas penser aux analyses de Hannah Arendt ? La démocratie des années ‘20 et ‘30 du siècle dernier a été détruite lorsque le tissu social s’est déchiré, que les individus ont été brisés, atomisés, que les groupes d’appartenance ont été remplacés par « une seule grande masse informe d’individus furieux »[x].
Dès lors, il faut aujourd’hui prendre le sujet des liens communautaires par l’autre bout, nous demander comment renouer plutôt que dénouer. Et, si nous voulons penser autrement, suivant Camus il nous faut utiliser les mots différemment.
Le terme de « communauté » prend encore souvent le sens qu’il avait dans le débat sociologique communauté/société : un groupe humain naturel, homogène, consensuel, réuni par exemple autour d’une religion[xi]. Martin Buber a pour sa part proposé de définir une communauté non par ce que les personnes sont, mais par ce qu’elles font. Plus précisément, il avança la notion de « communauté de processus »[xii]. Celle-ci réunit les hommes et femmes confrontés à un même problème et qui s’y attaquent ensemble.
Dans le même esprit, un compositeur affirme que la musique est une activité et non une chose. Aussi a-t-il inventé le terme « musiquer »[xiii]. En écho, il est temps d’ajouter une entrée au dictionnaire de l’action. Et de nous demander : comment pouvons-nous « communauter » ? Comment, ensemble, affronter ce qui vient, pour le meilleur et pour le pire ?
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Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
[i] Édito du 1e septembre 1945, dans Camus, C. (2002). À Combat. Paris : Gallimard.
[ii] 13 mai, sur @JLBouchez
[iii] Interview du 23/9 pour Woman’s Own
[iv] VSSE, Rapport annuel 2019
[v] Données Statbel, 12/2/2020.
[vi] Le volontariat en Belgique. Chiffres-clé 2019. Rapport de la Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec UGent et Statbel, p. 20
[viii] Voir notamment Capéau, B. et al. (2019). Well-being in Belgium. Beyond Happiness and Income. Cham: Springler, p. 155
[ix] Données du Bureau du Plan
[x] Arendt, H. (1972). Le système totalitaire. Paris : Seuil, p. 37.
[xi] Tönnies, F. (2010). Communauté et société. Paris : PUF.
[xii] Buber M. (2018). Communauté. Paris : Éditions de l’éclat.
[xiii] Small, C. (1998). Musicking. Middletown : Wesleyan University Press.
Cet article est paru le 25/06/2021 dans
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Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
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