SAGESSES DE GUERRE ?
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
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Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient.
« Après vous… », la formule de politesse si chère à Levinas, pourrait-elle être un levier politique ?
« « Après vous ». Dans cette formule de politesse, Levinas voyait l’essentiel de la morale. On comprend pourquoi : c’est mettre l’égoïsme à distance et court-circuiter la violence par le respect. »[i] Ainsi débute la définition que donne Comte-Sponville de la politesse. Cette dernière a été centrale dans notre société, comme dans toute. Car en codifiant nos rapports elle les dépersonnalise, leur ôte une part de leur subjectivité et de leur charge affective : je ne dis pas bonjour à la vieille tante Berthe parce que je l’adore, voire je la kiffe grave trop, mais parce qu’on dit bonjour quand on rencontre quelqu’un. Puis, sous la grande marée de l’individualisme émotif qui a recouvert les dernières décennies, cette politesse a pris l’eau.
Il n’est pas question ici de jouer les birbes grincheux pour qui c’était mieux avant. Nous vivons dans un temps de paix que nous n’avons jamais ou rarement connu dans l’histoire. Ainsi, en 1921, le siècle avait déjà à son compteur des dizaines de millions de morts à côté desquels nos catastrophes humanitaires de 2021 pourraient faire figure de migraines[ii]. Sur la longue durée, nos rapports se sont adoucis ; sur les 20 dernières années, les chiffres de criminalité en Belgique sont globalement stables[iii].
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N’empêche : il existe une fragilité actuelle de la politesse, qui échappe aux statistiques mais que nous sentons aux témoignages des enseignants ou soignants, aux urbaines trottinettes électriques qui expulsent les piétons du trottoir, à l’expression débridée sur les réseaux sociaux. Et cela mérite notre attention.
Dans son analyse de la politesse, Camille Perrot considère que celle-ci peut être définie comme « le minimum requis pour que s’établisse entre ceux qui sont appelés à se rencontrer une relation d’union et d’échange, dans l’ordre extérieur, momentanément et pour la vie courante »[iv]. La politesse relève du rituel qui permet de« nouer un commerce social », puis de l’entretenir et le développer, « de donner aux rapports humains (…) la forme minimale, mais véritable, de l’association. » Elle est un langage, un échange de signes conventionnels dont la valeur est relationnelle.
L’actualité des derniers mois nous permet de penser qu’observer les actes et déclarations des dirigeants par le biais de la politesse n’est peut-être pas idiot
Cette valeur apparaît par exemple dans les drôles et fictives « Lettres à un jeune londonien » de William Thackeray. L’écrivain victorien nous fait partager les conseils qu’un oncle donne à son jeune neveu qui va débuter dans la vie. Parmi eux, les avis de politesse visent à lui permettre de devenir un gentleman, de prendre sa place « au cœur d’un système où chaque élément se répond en harmonie et de manière idoine », puisque « la mélodie de toute carrière humaine devrait se jouer dans une même tonalité. »[v]
Pourtant, à première vue, cette politesse du gentleman qui assure la possibilité de rapports humains ne semble garantir en rien leur équité, ni même leur caractère acceptable. D’où la fameuse question : que vaut la politesse du SS ? [vi].
C’est simple : rien. Et on le comprend par le détour d’une autre fiction, inspirée elle d’un personnage historique réel. Dans le biopic sur Gandhi de Richard Attenborough, une scène se déroule dans une riche maison de Dehli. Nehru, descendant de grande famille dominante brahmane, y discute de la libération du joug britannique avec un invité et Gandhi. Un serviteur entre avec le thé. Le mahatma se lève, va lui prendre le plateau des mains et sert à sa place. Ce « permettez que je le fasse », cette politesse minimale donne soudain à la liberté une tout autre perspective que celle discutée entre pairs.
Höss, le commandant d’Auschwitz, jouait Bach au piano dans sa maison jouxtant le camp. Ce devait être un homme à certains égards exquis, avec des enfants ravissants. Mais sa politesse n’ouvrait aucune possibilité de véritable association. Seule celle de Gandhi le permet.
Ainsi la politesse peut-elle être une puissante arme politique, et son exigence une revendication d’ordre démocratique. Car, en injectant le respect concret et l’éthique de la relation dans le jeu collectif, elle remet la considération des personnes au premier plan. Le « après vous » de Levinas, que l’on peut attendre de ceux qui ont fait choix de servir l’État et sa population.
Certains pourraient persifler et juger ceci un peu niais, sinon y voir à l’œuvre une piteuse logique de dévalorisation personnelle catho-altruiste. Mais, d’une part, Levinas était juif et Gandhi, hindou, avait une règle de prudence assez juste : toujours considérer que l’on surestime ses qualités et vertus, mais que l’on sous-estime celles des autres. La psychologie a depuis documenté ce biais.
D’autre part, l’actualité des derniers mois nous permet de penser qu’observer les actes et déclarations des dirigeants par le biais de la politesse n’est peut-être pas idiot. On se souvient du pataquès diplomatique en Turquie, quand Charles Michel s’est assis avant et en meilleure place qu’Ursula von der Leyen. Un minimum d’élégance aurait évité bien des débats sur les préséances protocolaires.
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Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
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Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
Plus près de nous, Monsieur Jamar, le Gouverneur de la province de Liège alors sous eau et où des dizaines de personnes viennent de mourir noyées, s’est défendu de n’avoir pas repris sa fonction dès son retour de l’étranger parce qu’il n’utilise que 9 jours de vacances par an[vii]. On peut s’interroger : est-ce bien poli, de nature à permettre un commerce social digne de ce nom avec ses concitoyens ?
Cela dit, si nous reprenions un peu de thé ?
[i] Comte-Sponville, P. (2021). Dictionnaire philosophique. Paris : PUF.
[ii] Voir https://ourworldindata.org/war-and-peace
[iii] Voir http://www.stat.policefederale.be/statistiquescriminalite/interactif/tableau-par-zone-de-police/
[iv] Pernot, C. (1996). La Politesse et sa philosophie. PUF : Paris, p. 261.
[v] Thackeray, W. (2021). Lettres à un jeune Londonien. Paris : Editions Rue d’Ulm, p. 16.
[vi] Posée par Comte-Sponville, cette fois dans son Petit traité des grandes vertus (PUF, 1995)
[vii] Interview au soir du 21 août, https://plus.lesoir.be/390496/article/2021-08-21/herve-jamar-sort-du-silence-apres-les-inondations-il-y-une-forme-de-banalisation?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlastyear%26sort%3Ddate%2520desc%26word%3Djamar
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Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
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