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Écrire à un ami

Vialatte, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais ceci est fidèle à nos échanges.

CHRISTiiiNE !…

Lire au bain, changer de paysage, et marchander avec Cupidon

 

28 Oct 2021

Cher P,

Par un petit matin de la semaine dernière, alors qu’il faisait froid et sombre, j’ai eu envie, pour entrer dans mon bain, d’un livre exotique. 

(Oui, tu sais, j’aime lire au bain. Cela peut paraître étrange, pourtant c’est un endroit délicieux, largement sous-estimé et bien plus propice à la lecture que la douche).

Alors je descendis, tâtonnant des pieds dans l’escalier dont la forme en escargot correspondait à la lenteur du pas, puis tâtonnant des mains dans la bibliothèque désordonnée par les dernières semaines d’ardu labeur.

Me semble exotique un livre qui te sort du paysage où tu te trouves. Les maximes de Christine de Suède[i]parurent adéquates : un texte bref, fait d’éclats, écrit au XVIIe par une monarque à la réputation d’érudition et de panache, ça me changerait de la Wallonie.

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J’avais vaguement ouï dire que la dame avait correspondu avec Descartes. C’est tout. 

J’entrai donc curieux et niais dans l’opuscule.

Et ce fut un éblouissement…

Juge toi-même :

Les plus petits États ont de quoi occuper la capacité du plus grand des hommes.

L’avarice du temps ne déshonore pas.

Les grands hommes et les sots font quelquefois les mêmes choses ; mais ils le font d’une manière très différente.

Il faut lire pour s’instruire, pour se corriger et pour se consoler.

Ne pas savoir dissimuler, c’est ne pas savoir vivre.

L’on peut se fier rarement aux hommes, mais l’on doit souvent se fier à leurs intérêts.

L’indifférence doit être héroïque, non pas stupide.

Mépriser les injures, c’est se venger.

Il faut savoir vivre avec les méchants sans se faire tort.

Perdre un ennemi est une grande perte.

Le désespoir est un orgueil ; c’est une présomption secrète et criminelle.

Il faut compter pour rien tout le passé et vivre toujours sur de nouveaux frais.

Ça, ce sont ses aphorismes. Et puis, peut-être plus intéressantes encore, il y a ses annotations sur les maximes du Duc de la Rochefoucauld. Par exemple :

lui : La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent les plus sots habiles ; elle : Je crois que la passion perfectionne tout.

lui : La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans le cœur ; elle : Cela est faux, et c’est la coutume des hypocrites et non pas des sages.

lui : On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine ; elle : Je crois que l’on ne l’est qu’autant qu’on croit l’être.

lui : L’esprit est toujours la dupe du cœur ; elle : Presque toujours.

lui : La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si, quelqu’un paraît sage, c’est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune ; elle : Je pense qu’il a raison, tout n’étant que folie, bagatelles et jeux d’enfants.

Il y a dans ses textes une intelligence réjouissante. J’imagine qu’elle vient pour partie de son expérience du pouvoir, qu’elle est aiguisée par les responsabilités, l’impossibilité d’échapper au choix, aux intrigues et jeux des personnages divers…

Mais, dans ses remarques au bon duc François, il y a en plus un sens rare de la nuance, et de l’ambiguïté. Cela tient-il à l’exercice même ? La réponse dans le dialogue permet-elle plus d’épaisseur que le tranchant d’une formule solitaire ?

Épaté, je suis allé voir du côté de sa biographie et n’ai pas été déçu : parlant 10 langues, correspondant en effet avec Descartes[ii] mais aussi avec Pascal et Spinoza, faisant venir ledit Descartes à sa cour et fixant leurs rendez-vous à 5h du mat, reine une décennie avant d’abdiquer pour pouvoir assouvir sa liberté de voyages, de savoirs, de rencontres…

Toi qui aimes la gent féminine, je crois que tu en serais tombé assez dingo. Un de mes profs disait que, lorsqu’il était jeune, il aurait donné dix ans de sa vie pour rencontrer Lou Andréas-Salomé, qui avait fait tourner la tête à Nietzsche et Rilke. Puis il ajoutait que, maintenant âgé, il donnerait quand même encore bien cinq ans. 

‘ m’est avis que tu serais capable de ce genre de marchandage cupidonesque pour la Christine. Mais combien d’années miserais-tu ?…

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LES MAINS ROUGES

Explorer une voie Par où passer pour vivre avec  sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions,  qui racontent des histoires,  ceux d’occident  et d’orient. Et

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[i] Christine de Suède. (2016). Maximes. Paris : Payot & Rivages

[ii] Descartes, R. (2018). Correspondance avec Élisabeth de Bohême et Christine de Suède. Paris : Gallimard.

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Encore !

Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?

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