YANNE SOCIOLOGUE
Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
Interroger le monde
Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser, comprendre, imaginer.
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Les manifestants qui s’opposent à la vaccination obligatoire contre la Covid, notamment, seraient-ils de modernes Antigone ? Pas si sûr.
Dans la tragédie grecque de Sophocle, Créon, qui exerce le pouvoir, refuse que le guerrier Polynice ne soit enterré de manière honorable et conforme aux rites. Car il aurait, estime-t-il, été hostile à l’État. Antigone, la sœur du soldat, ne l’entend pas ainsi. Elle décide de s’opposer à Créon et, une nuit, vient recouvrir le corps laissé volontairement à l’abandon. Cet acte est vital pour Antigone : il importe de « plaire aux dieux plus longtemps qu’aux hommes », et « la perte d’un frère n’est pas réparable ». Cet acte rebelle est inacceptable pour l’autorité. Créon réagit : il veille à ce que le corps soit à nouveau offert aux charognards, et fait enfermer Antigone.
Plusieurs voix tentent alors de convaincre le tyran d’assouplir sa position. Il serait injuste de condamner l’audacieuse, soutenue par le peuple de la ville. Son propre fils Hémon, amoureux d’elle, argumente ; Tirésias, un devin aveugle, fait de même. D’abord inflexible, Créon prend finalement conscience du danger de son obstination et décide de libérer Antigone. Mais trop tard : elle est morte. Désespéré, le fils de Créon se suicide. Sa femme, folle de douleur à la perte du fruit de sa chair, le suit dans le trépas. Créon est ravagé, conscient qu’il ne doit son malheur qu’à lui-même.
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Cette tragédie, étrangement, fait écho à notre actualité. L’exigence de liberté, l’appel au nom des valeurs sacrées de la démocratie ne sont-ils pas des cris héroïques ? Et les gouvernements, qui souvent prennent des libertés avec la liberté, ne sont-ils pas en train de passer du côté obscur de Créon ?
En fait, non. Contrairement aux apparences, nous ne sommes pas dans un affrontement entre l’héroïsme et l’obstination.
Il est vrai que les politiques, chez nous comme ailleurs, peuvent paraître têtus, voire arrogants. Il semble parfois difficile de comprendre pourquoi les hôpitaux se remplissent de nouveau malgré la vaccination, et donc la défense de celle-ci. Difficile aussi de saisir les revirements de règles, les calendriers cocasses, les cafouillages internes, les approximations de chiffres qui font penser au bidouillage.
Nous ne sommes pas dans une tragédie où les deux camps auraient une exigence légitime. Le cri des manifestants est compréhensible, mais n’est pas légitime.
Mais prendre ces difficultés, ignorances et erreurs comme preuve d’une dérive autoritaire serait dénier que la vaccination protège en effet les vaccinés, qui meurent nettement moins que les non-vaccinés, et a par conséquent réduit drastiquement la mortalité de la population liée à l’épidémie. En Belgique, si l’on compare des périodes de deux mois et demi fin 2020 et aujourd’hui, on observe un net décrochage des courbes de décès par rapport à celles de contamination, avec quatre fois mois de morts en proportion [i]. Ce serait également ignorer que les mesures sont toutes prises par des élus qui agissent dans le cadre d’institutions démocratiques, et dans une perspective de protection plutôt que d’atteinte aux individus. Surtout, ce serait sous-estimer la difficulté pour les politiques d’inventer le mouvement en marchant : ils doivent faire muter leur action au fil des variants et des avancées scientifiques. Pour cela ils s’accrochent aux faits, certes fluctuants, mais massifs.
Par ailleurs, il est vrai aussi que la population souffre d’avoir été privée de liberté. Les restrictions actuelles liées au Covid Safe Ticket sont sérieuses : restaurants vidés, rencontres annulées ou réduites jusqu’à l’absurde, nombreuses tensions familiales et professionnelles. Quant aux conséquences à venir d’une vaccination obligatoire, elles choquent : la menace du chômage pour le personnel soignant est vécue comme un manque total de reconnaissance. Lutter contre ces privations qui rongent lentement et profondément les liens, les esprits et le bien-être paraît légitime.
Mais prendre ce refus pour un héroïsme incontestable serait ignorer trois caractéristiques des cris. La première est la myopie : où la privation de liberté est-elle la plus grave ? Dans le CST et la vaccination, ou dans le confinement, voire la mort ? La deuxième est l’équivoque : les manifestations portent-elles vraiment sur la crise Covid, ou expriment-elles un ras-le-bol plus profond de la classe politique, voire de l’évolution sociale ? La troisième est l’ambiguïté : il y a revendication d’une liberté aussi nécessaire que problématique pour la démocratie. Comment jugerait-on un automobiliste qui exige de rouler à gauche, car telle est sa liberté ? Ainsi que l’indiquait le philosophe Raymond Aron, le refus d’obéissance et le refus des différences sont pour notre régime deux dangers fondés sur ses valeurs mêmes, les liberté et égalité.
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Explorer une voie Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient. Et
On peut donc penser que nous ne sommes pas dans une tragédie où les deux camps auraient une exigence légitime. Le cri des manifestants est compréhensible mais, étant donnés sa myopie, son équivoque et son ambiguïté, n’est pas légitime. Cela ne change rien à la gravité et à la dangerosité de la situation. Car si un conflit entre le peuple et ses représentants venait à se tendre davantage et à s’installer dans la durée, tout le monde y perdrait.
Si le problème ne tient probablement pas à un affrontement de légitimité, il tient par contre sans aucun doute à une différence de points de vue. Individus, citoyens, nous avons appris qu’il existe une ligne frontière entre le bien et le mal. Nous savons que ce n’est pas toujours si simple, mais quand même ! Les politiques, quant à eux, expérimentent en permanence qu’il existe bien plus souvent une zone frontière qu’une ligne claire. Par exemple, dans le désert entre le Mali et l’Algérie il n’y a pas de rivière, de route ou de poste à barrière. Pourtant, un Touareg sait s’il est dans un pays ou dans l’autre. Ainsi en va-t-il des responsables politiques qui, bien que pris dans le désert des certitudes, savent qu’ils peuvent se trouver du côté du préférable ou de l’évitable. Avec la Covid, ils sont plus que jamais dans cette zone.
Et alors ? Que faire de ces différences de point de vue ? Comment prendre au sérieux, à la fois, les exigences de rigueur et de transparence de la population – qui elles sont légitimes – et les contraintes des élus sans cesse sur le fil de l’action incertaine ? Où faire dialoguer les douleurs des éprouvés et les difficultés des funambules ? De quelle manière dégager un accord ?
En organisant un débat sur la vaccination au Parlement. Cette possibilité, déjà défendue par certains politiques et juristes, semble aujourd’hui la seule manière de mettre à plat la question de la légitimité de la vaccination, et plus généralement des réserves imposées aux libertés individuelles. En démocratie, le Parlement est le lieu ultime de la légitimité : c’est donc là qu’il faut retourner, échanger puis décider en temps de crise. Ce faisant, nous aurons une chance d’empêcher le cercle vicieux de suspicions, mensonges et même violences qui pourrait s’enclencher.
Nous avons, aujourd’hui plus que jamais, mieux à faire qu’à nous étriper. À l’heure des manifestations, comme à l’heure d’écrire ou lire ces lignes, des enfants, des femmes, des hommes ont froid et faim, à quelques kilomètres ou mètres de nous. Et, plus loin à peine, derrière des barbelés d’autres enfants, femmes, hommes en exil attendent avec espoir de pouvoir entrer en Europe.
« La perte d’un frère n’est pas réparable ».
[i] 2020 : 8.381 décès entre le 1 octobre et le 15 décembre, pour 484.459 contaminations entre le 15 septembre et le 30 novembre = 1,73% de décès/contamination ; 2021 : 1.066 décès entre le 1 septembre et le 15 novembre, pour 230.236 contaminations entre le 15 août et le 31 octobre = 0,46% d/c (chiffres Siensano, décalage de 15 jours entre les contaminations et les décès) :
Paru le 3/12/21 dans
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