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Interroger le monde

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ÉLECTIONS, FAÇON PUZZLE

La Belgique connaît, comme la plupart des pays du monde, un éclatement progressif de sa représentation politique. On peut craindre que cela s’aggrave et rende le gouvernement de plus en plus difficile. L’élaboration d’une proposition de la société civile serait-elle une réponse possible ?

23 Dec 2021

Les grands partis de gouvernement sont en déclin depuis les années ’70, avec une accélération après la crise de 2008. Les travaux de Pierre Martin[i] ont montré qu’on retrouve cette tendance sur tous les continents, avec quelques exceptions comme dans la polarité démocrates/républicains persistant aux États-Unis. En Europe de l’Ouest, ce recul des partis dominants a été couplé à une augmentation de la volatilité électorale et à une diminution de la participation aux élections. Si ce phénomène est moins visible dans notre pays, puisque le vote y est obligatoire, il n’empêche : quand on additionne les abstentions (plus de 11%) et les votes blancs (plus de 5%), c’est environ 1,3 million de voix belges qui ne comptent pas lors des élections[ii]. Le groupe des non-votants est plus grand que celui des électeurs du premier parti du pays.

VOTES RADICAUX

Les recherches coordonnées par Thomas Piketty[iii] indiquent un même éclatement. Au départ de données dans 50 démocraties du monde, il constate que les forces politiques dominantes de gauche comme de droite ont été progressivement rognées, puis franchement attaquées. À gauche, la sociale démocratie a perdu du terrain au profit des écologistes et de la gauche radicale. À droite, les conservateurs et démocrates-chrétiens ont été bousculés par la droite extrême et l’extrême droite. 

En Belgique, on est ainsi passé d’un jeu à deux à la sortie de la guerre (avec les familles chrétiennes et socialistes dominantes), à un jeu à trois dans les années ’70 à ’90 (avec la montée des libéraux), pour en arriver aujourd’hui à un jeu à 7 forces (avec la NVA, le Vlaams Belang, les verts et le PTB).

Lorsque l’on regroupe ces forces, l’évolution ne change pas radicalement l’équilibre gauche/droite. Par contre elle change la dynamique ainsi que la tonalité du débat. En particulier, la question de l’identité, des migrations et de l’intégration s’est imposée. 

Piketty s’étonne que cette question identitaire ait pris une telle importance partout sur la planète, plutôt que le débat lié à la croissance significative des inégalités. La Belgique échappe en partie à cette tendance internationale inégalitaire[iv], la question sociale étant chez nous surtout relative à une trappe de la pauvreté durable et à une disparité selon les régions et origines. Mais nous avons une autre raison d’être perplexes : le décalage entre la radicalité du vote des électeurs et la modération de leurs préférences en tant que personnes.

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VALEURS CENTRISTES

Ce décalage a été analysé par le projet RePresent, qui réunit des chercheurs de différentes universités francophones et flamandes[v].  Une enquête en ligne a été menée avant les dernières élections afin d’interroger les citoyens sur leurs opinions politiques. Ces dernières ont ensuite été comparées aux résultats des votes. Et il apparaît que, contrairement à l’idée que les Wallons penseraient à gauche et les Flamands à droite, on observe une large proximité des idées au centre.

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Ainsi, interrogés sur leur autopositionnement, Flamands et Wallons répondent de manière très semblable :

Si l’on observe les valeurs politiques des uns et des autres, il y a de faibles différences en matière socio-économique, un peu plus sur le plan socioculturel. Les opinions politiques générales sont également assez proches. C’est au niveau des préférences plus concrètes que les différences se marquent davantage, avec des attentions plus grandes à la question migratoire en Flandre ou environnementale en Wallonie. Il y a aussi des nuances dans le poids des autres sujets. Néanmoins, les priorités et importances sont souvent du même ordre.

Par contre, force est de constater que les résultats des élections ont été conformes à la tendance à l’éclatement et à la radicalisation : la diversité des partis se retrouve dans l’hémicycle.

Bref : il existe un grand écart entre ce que les individus pensent et leurs votes. Nous parions que ces individus ne sont pas schizophrènes, ni même massivement incohérents. Dès lors, la seule explication possible vient de ce que l’offre politique ne correspond pas à leur demande. Autrement dit, il manque une force centriste attrayante. 

RECENTRER LE DÉBAT

On peut considérer que l’éclatement progressif du champ politique et le décalage opinion/vote sont dangereux. Le premier, parce qu’il rend difficile la constitution des gouvernements et fragilise leur exercice du pouvoir. Le second, parce qu’il contribue à créer et nourrir des débats qui ne répondent pas vraiment aux attentes de la population, alimentant le pourrissement de certains problèmes et une distance entre élus et électeurs. Il apparaît alors souhaitable de recentrer la politique.

Pour ce faire, une première option serait de renforcer les partis du centre. 

En partant de l’existant, il s’agirait de réformer et relancer les structures en place. Mais on voit toute la difficulté qu’a, par exemple, un parti comme le CdH à se renouveler malgré ses moyens, son expérience du pouvoir, ses réseaux. On pourrait alors repartir d’une page blanche. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron avec succès en France. Mais le jeu institutionnel est tout différent chez nous, et ajouter un nouveau parti pour réduire l’éclatement serait contradictoire.

Une deuxième option est de recentrer le débat. Or, on ne peut pas compter sur les partis, pris dans leur dynamique centrifuge et de radicalité. Il faut donc que l’impulsion vienne d’ailleurs. 

Pourquoi pas de la société civile ? Des acteurs collectifs qui ne sont ni directement liés aux partis, ni instrumentalisés par des intérêts privés, pourraient ouvrir un espace d’échange et de propositions. Il s’agirait d’y choisir des questions importantes, de les instruire rigoureusement et de dégager un nombre réduit de solutions novatrices ayant un effet systémique. Tout ceci serait alors soumis aux partis, qui devraient se positionner à l’instar de ce qui avait été fait pour le pacte écologique outre-Quiévrain, lors des présidentielles de 2007.

Le rôle des universités et autres lieux de création de savoir, comme les centres d’études des fédérations sectorielles ou les revues, devrait être décisif. Cela n’aurait rien d’évident. Car nous n’avons pas de dense tradition de débat intellectuel. Ce qui s’est passé dans les premiers mois de la pandémie, par exemple avec les publications du plan Sophia ou de Carta Academica[vi], est éloquent : des productions souvent stimulantes, mais inégales, éclatées et largement idéologiques. Or, il s’agirait de quitter les ornières sectaires pour pouvoir inventer des propositions de rassemblement.

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TENTER ?

On peut néanmoins penser que l’aventure n’est pas impossible, à condition que plusieurs éléments soient réunis, notamment : l’identification d’un porteur du projet ; un rassemblement significatif de sensibilités diverses, sans tomber dans l’exigence stérile d’un équilibre d’apothicaire ; une méthode qui permet de combiner les analyses objectives, l’apport des experts et l’intelligence collective. Les travaux réalisés en Angleterre par le think tank Demos[vii] prouvent que cela peut se faire.

La confiance que les citoyens accordent aux politiques est très basse, souvent sous la barre des 20% dans notre pays[viii]. La gestion de la pandémie, qui a fait de nous un des États les plus inefficaces du monde pour protéger sa population[ix], n’aura certainement pas amélioré les choses. Les inondations et leurs conséquences non plus. 

Il existe donc un risque non négligeable que le résultat des prochaines élections soit encore plus difficile à encaisser pour les élus, et plus inquiétant pour la santé de notre démocratie. 

Les élections auront lieu dans deux bonnes années, à moins que chute avant cela le gouvernement fédéral. Autant dire, demain.

Alors, on tente ?…

[i] Martin, P. (2018). Crise mondiale et systèmes partisans. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

[ii] Étude Cevipol/Itsme d’automne 2021, https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_lutter-contre-l-abstention-electorale-impliquera-d-agir-a-court-et-long-terme-selon-une-etude?id=10888890

[iii] Gethin, A., Martínez-Toledano, C et Pieketty, T. (2021). Clivages politiques et inégalités sociales. Paris : EHESS/Gallimard/Seuil. De nombreuses données sont accessibles sur le site https://wpid.world . Voir en particulier les données relatives à la Belgique : https://wpid.world/resources/en/pdf/Belgium.pdf

Aussi : les analyses du Crisp et du Cevipol.

[iv] Notamment Causa, O. et M. Hermansen (2017), « Income redistribution through taxes and transfers across OECD countries », Documents de travail du Département des Affaires économiques de l’OCDE, n° 1453, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/bc7569c6-en.

[v] https://represent-project.be/about/ et en particulier http://represent-project.be/wp-content/uploads/2021/01/LesBelgesHaussentLeurVoix2020_PiletBaudewynsDeschouwerKernLefevere.pdf (vf :

https://www.frs-fnrs.be/docs/NewsRecherche/Flamands_et_Wallons_ont_vote_differemment.pdf )

[vi] https://www.cartaacademica.org

[vii] https://demos.co.uk

[viii] Baromètre Solidaris https://www.institut-solidaris.be/wp-content/uploads/2021/07/Sante-mentale_enquete-complete.pdf

Voir aussi les indicateurs de développement durable du Bureau fédéral du Plan  : https://indicators.be/fr/i/G16_INS/Confiance_dans_les_institutions

[ix] si l’on en juge par exemple au nombre de morts de la Covid par million d’habitant  https://www.worldometers.info/coronavirus/

 

 

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