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Écrire à un ami

Vialatte, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais ceci est fidèle à nos échanges.

ORANGE !

Temple d’Ise, rebelle autorisé et lucidité généreuse

12 May 2022

Cher P,

C’est décidé : dorénavant, j’écris en orange.

Beaucoup encore j’écris à la main, c’est-à-dire au stylo. Non pas les textes rédigés sur ordinateur, mais les notes dans des carnets. Les notes sont une grande activité. Elles me semblent pareilles aux chasses aux insectes de notre ami Ph. : on jette ses mots sur le papier comme on fait tourner son filet à papillons, puis on observe ce qu’on a attrapé, on compare, on classe. Tel l’entomologiste qui plonge dans ses clés d’identification, le noteur farfouille ensuite dans un dictionnaire, un livre ou un vieux cahier pour relier sa pensée du jour à une observation plus ancienne. Alors le monde entier, avec toute sa vie, toutes ses couleurs et ses formes, peut être appréhendé par le minuscule.

Peu après notre rencontre, la grande femme blanche m’a offert un magnifique stylo. Je l’ai utilisé sans cesse, au point qu’après 20 ans il était si usé qu’un changement de plume ou une réparation ne suffisait plus. Lors d’une occasion particulière, elle m’en a offert un nouveau, le même dans une autre couleur. J’étais très ému. C’était un acte printanier, un renouvellement traditionnel, du neuf à l’identique. Le sanctuaire d’Ise, au Japon, a été construit au 7e siècle et pourtant il est en bois de quelques décennies. Parce que, suivant la pratique commune du zōtai, tous les 20 ans chaque poutre, porte, pièce ancienne est remplacée par une nouvelle. Maintenant, j’écris à l’Isetylo.

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Et en orange ! Longtemps j’ai baguenaudé entre des encres diverses, du noir au rubis en passant par le turquoise. Mais là, c’est décidé, je me fixe. Parfois dans la vie il y a des décisions qui s’imposent, des murissements qui mènent à l’évidence : orange. 

Orange parce que rouge et jaune, ensemble.

Rouge colère. 

L’autre samedi, nous sommes allés à un « festival » lié aux réfugiés. Un réseau d’associations bruxelloises (occupant un lieu inusité de manière alternative provisoire et rebelle (mais avec l’accord des autorités ) ) organisait un pow-wow sur un thème brûlant : Bruxelles, terre d’asile. Durant trois jours il y avait de tout, des expos, débats, projections, repas, spectacles… Bref, du militant pur jus comme il en faut, peut-être plus que jamais.

Aussi, quelle ne fut pas ma tristesse de tomber dans un brol éblouissant de brolitude. En 5 heures et diverses activités, je n’ai pas été enivré par l’intelligence. De la gentillesse assurément, de la bonne volonté certes, de l’indignation sincère sans doute, et même des éclairs de beauté fulgurante dans quelques photos de Frédéric Moreau de Bellaing. Mais aucune description rigoureuse des faits et des enjeux contradictoires, aucune critique sérieuse des politiques, moins encore d’autocritique de la société civile dont l’efficacité peut être interrogée à la lumière de la persistance, sinon l’aggravation des problèmes. Par ailleurs, la soirée n’était pas chiche en grotesques « émotions puissantes », en simulacre de « dialogue » avec des « victimes », en contentements et complaisances. Toi mon P, qui fut un pilier de l’éducation populaire, tes cendres doivent se retourner sur leur pré. Alors dire que j’étais en colère serait un euphémisme. Si les questions concernant les migrations comptent sur ce type de forces vives pour être traitées comme elles le méritent, les réponses justes et dignes attendront.

« Nom de D’jeu ! », me dis-je, que soit la colère contre ce qui merde et nos propres odeurs nauséabondes.

Rouge !

Et jaune amitié, chaleur, lumière de soleil. 

Les jours suivants, en courant j’ai écouté les podcasts d’une longue interview du philosophe Jean-Claude Michéa. Ce fut là tout l’inverse. Parfois j’ai lu ce bonhomme, et toujours il m’a accroché. Qu’on soit d’accord ou pas avec lui, il a le mérite d’avoir une pensée généreuse, lucide et redoutable. 

L’entendre raconter son enfance heureuse dans un milieu populaire, sa fidélité aux parents communistes, son admiration pour Orwell, sa connivence avec Semprun ou ses copains de foot, sa distance avec les positions faciles donnait l’envie d’accélérer les foulées pour atteindre la gare fissa, prendre un ticket de train et aller le rejoindre illico dans son village perdu, là-bas au fond du Sud-Ouest. 

Et, ce week-end, nous avons vu un spectacle merveilleux. Merveilleux au sens de remarquable, mais aussi de surnaturel, miraculeux…  Il s’agit d’une pièce sur la folie de la société par l’Appétit des indigestes, une troupe constituée de comédiens professionnels et amateurs, de gens qu’on dit fous et d’autres non. Ça commence lentement, puis cela se tisse, monte, s’adoucit, repart, s’arrête en suspens. L’occupation de l’espace et la mise en scène sont simples, presque invisibles pour mieux permettre l’échange et l’écoute. Chacun vient avec des mots mis en partage, comme à une auberge espagnole. 

Mais c’est faussement simple. Le texte résulte d’un long travail d’écriture au départ d’impro : des histoires des uns sont écrites par les autres, fondues dans un tout par une seule plume, et puis joués par d’autres encore et en corps. Ce système de pivots successifs, de relais, triangulation, permet de distiller le particulier jusqu’au commun. L’alcool est fort. Le jeu est à l’avenant. Et le projet : dix ans d’exploration commune de la zone frontière entre le réel et l’imaginaire, le normal et le moins normal, les abysses, le pont de singe et le pont de songe. Là aussi c’est généreux, lucide et redoutable. 

« Nom de d’jable… », que soit la rude bonté à l’égard de nos voisins proches et lointains, dans les mots et les gestes.

Jaune !

Bref, écrire en orange.

Mais serait-il possible de vivre de la même manière ? 

Exister par notes, brides intenses ou anodines qui se répondent ?

Orangement, en combinant lutte et tendresse, cri gentil et caresse piquante ?

Ou, poussant le bouchon plus loin, serait-il possible de se vivre comme une orange ? Être rond, sucré non sans une pointe d’amertume, tendre sous une peau rugueuse, fait de quartiers divers mais aussi d’une même chair, être juteux, parfumé, contenir des pépins qui pourront donner des arbres ?

Ça se tente, non ?

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Encore !

Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?

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