YANNE SOCIOLOGUE
Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
Explorer une voie
Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient.
Pourquoi regarder « L’armée des ombres » ?
Ce n’est qu’un vieux film de Jean-Pierre Melville, réalisé en 1969, un temps où l’on faisait du cinéma avec de la pellicule et où les plans étaient longs. Pourtant, il faut voir “L’armée des ombres”. Et revoir.
Parce que c’est un film beau, magnifique, grand, d’une intelligence qui mène au vertige et nous aide à ne pas y céder. C’est une œuvre qui nous montre les vertus modestes et exigeantes de l’ombre. C’est un film qui nous introduit à une morale de l’ajustement.
L’œuvre cinématographique est parfaite : cohérente, dense, signifiante par chaque angle, mot, temps. Tout sert l’unité et le propos, qui est la rencontre et l’accompagnement de résistants, l’initiation et la traversée avec eux, jusqu’à la mort.
La densité doit beaucoup au récit écrit en 1943 par Kessel, qui avait rejoint les Forces aériennes françaises libres. Melville, résistant lui aussi, y a été fidèle tout en ajoutant quelques souvenirs personnels. Les séquences et les scènes nous font pénétrer très progressivement dans le cercle des personnages et de l’action. Le son est limpide, le montage sec. Le jeu est minimaliste : l’esquisse d’un sourire ou un haussement des yeux suffisent à dire la profondeur d’une confiance, d’une crainte, d’une critique.
Et puis, il y a cette image dominée par les couleurs bleues, vertes et grises. Cela permet d’éviter que les résistants n’aient un air poupin, disait le chef opérateur Pierre Lhomme. Bien plus, la tonalité permet d’inscrire le film dans une esthétique de l’ombre. Celle-là même qu’observe l’écrivain japonais Tanizaki. Il constate que la beauté des objets en laque n’est perceptible qu’à la lueur des chandelles, que le débordement des toits des maisons asiatiques permet des pièces sombres. Et il pose une hypothèse : « tout bien pensé, c’est parce que nous autres, Orientaux, nous cherchons à nous accommoder des limites qui nous sont imposées que nous nous sommes de tout temps contentés de notre condition présente ; nous n’éprouvons par conséquent nulle répulsion à l’égard de ce qui est obscur, nous nous y résignons comme à l’inévitable : si la lumière est pauvre, eh bien, qu’elle le soit ! Mieux, nous nous enfonçons dans les ténèbres et nous leur découvrons une beauté qui leur est propre. » (Éloge de l’ombre, 2011)
Ce rapport à l’obscur est au cœur du film. L’ombre, qui cache l’armée, est celle qui révèle l’humanité. L’esthétique va de pair avec une morale.
La morale que montre ce film de guerre est, paradoxalement, une morale d’amour.
Il s’agit d’un amour au sens où l’entend Ricœur, par distinction avec la justice. Cette dernière, écrit-il, s’inscrit dans la réciprocité. L’amour, par contre, est de l’ordre du don, sans attente de réciprocité. L’amour obéit à un commandement. Et, acte positif, à l’inverse de la haine qui détruit, il crée, augmente la valeur de ce qu’il saisit (Amour et justice, 2008).
Les personnages principaux s’inscrivent dans une fraternité, une fraternité construite qui pourrait supplanter celle de la famille originelle. Alors qu’il partage un repas avec son ainé à qui il rend visite, juste après avoir livré des radios et échappé par deux fois à la police, la voix off de Jean-François nous dit : « je me demandais si Mathilde, que je venais à peine de connaître, ne m’était pas devenue plus proche que toi, mon frère que j’avais toujours aimé, que je continuais d’aimer, mais avec qui je n’avais plus grand-chose de commun. »
Je partage
“Je crois qu’on a besoin d’un homme qui ignore tout des armes dans cette maison inhabitée. » (Luc Jardie)
Bien sûr il y a la mort infligée à l’ennemi. Elle est montrée, regardée en face par les personnages. Bien sûr il y a la gravité d’une traitrise, la mesquinerie d’une dernière cigarette non partagée avant l’exécution. Pas de joliesse, pas d’euphémisme. Mais les gestes d’attention des uns envers les autres pèsent bien plus que les violences. Ces gestes se trouvent dans le noyau dur des personnages et dans les relations secondaires : une fermière qui remet au plus tard incertain la rémunération prévue pour cacher des aviateurs, un aristocrate allié qui partage des souvenirs dans l’autodérision, un inconnu qui offre un vêtement de dissimulation facilitant la fuite. Dans la chaleur de la lutte, les classes ont disparu.
Cette lutte est décrite avec une grande minutie. Dès le premier plan, qui obsédait Melville, on voit défiler les Allemands sur les Champs Élysées dans un alignement irréprochable. Tout est ensuite aussi précis : les gestes du barbier, le comportement différent à l’égard des occupants ou de la police française, la préparation et la mise en œuvre d’une opération…
Mais cette rigueur n’est pas absolue, n’est pas une affaire de surhomme. Parce qu’il y a le doute et la fragilité : Gerbier hésite avant de sauter en parachute dans le vide, Le Masque pleure comme la victime qu’il vient de tuer. Et parce qu’il y a la tendresse d’une remarque, la légèreté d’une promenade en calèche dans Londres, le regard amusé sur le Canadien qui croit parler français sans accent…
Reprenant le terme du philosophe Jankélévitch – résistant, aussi – l’action est sérieuse. Elle est vécue dans le moment, totalement, et elle échappe à la fois au désespoir et à la frivolité. Elle accepte d’être imparfaite, impure.
L’impureté est noble, comme le sont les bactéries indispensables à la vinification. On le voit, et on l’entend aux voix off qui tout au long du film nous permettent de partager l’intimité des uns et des autres, celle où personne ne va, celle où naît le sérieux.
Je découvre
Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
Explorer une voie Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient. Et
En nous montrant cette action, de cette façon, Melville nous indique une morale de l’ajustement.
Les personnages, par leur cheminement intérieur et leurs gestes, s’ajustent en permanence : aux situations, les uns aux autres, chacun à lui-même. L’exigence des valeurs affleure rarement dans les mots mais elle fonde chaque choix. C’est par rapport aux valeurs que se fait l’ajustement, ce sont elles qui l’anime. C’est une morale pragmatiste, qui s’adapte en permanence, qui ne vaut que par ses conséquences.
C’est aussi une morale inversée par rapport à notre morale courante, une morale non pas en surplomb mais en contreplongée. L’ombre de de Gaule, qui apparaît furtivement, est vue d’en bas. Car avec lui on regarde vers le haut, loin, autrement. Jankélévitch estimait que dans certains cas le mensonge est non seulement justifié mais qu’il est même la seule réponse morale : lorsque la police française frappe à la porte, on ne lui dit pas qu’on cache un juif.
Le lieu, la relation, la liberté et les valeurs sont les termes de cette morale de l’ajustement.
Woody Allen, avec le film “Zelig”, a de son côté montré une morale de l’adéquation : Zelig, l’homme caméléon, devient boxeur avec les boxeurs, Chinois avec les Chinois, et finit pas défiler au pas de l’oie avec la même chemise noire que ses voisins.
« L’armée des ombres », alors, nous amène à la question : ici, maintenant, chacun, ensemble, cherchons-nous à être en adéquation ou à nous ajuster ?
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Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
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Encore !
Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?
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