YANNE SOCIOLOGUE
Chercher des perles La pensée est un voyage, une exploration. Elle passe par les autres, leurs idées et leurs projets : autant de perles à
Explorer une voie
Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient.
Il faudrait écrire un éloge de l’ambiguïté.
Malgré, parfois, l’affirmation d’un environnement devenu volatile et complexe, l’ambiguïté a, souvent, mauvaise réputation. Telle déclaration ambiguë ne serait-elle pas un mensonge ? Telle situation ambiguë ne devrait-elle pas être clarifiée au plus vite ? Tel personnage ambigu n’est-il pas suspect ? Filles ou fils de Boileau, nous pensons encore massivement que la clarté est bonne et l’ombre néfaste. Or, l’ambiguïté est précieuse. Nous gagnerions à reconnaitre sa valeur, à apprendre à vivre avec elle et à en tirer parti.
L’ambiguïté est le caractère indistinct d’une situation, d’un comportement, d’une expression qui présente en même temps différentes potentialités. Il peut s’agir de potentialités concrètes dans le réel, ou de sens dans l’imaginaire. L’ambiguïté ne doit pas être confondue avec l’équivoque. Dans le cas de cette dernière, il y a substitution et méprise : on prend une chose pour une autre, une déclaration pour son contraire. Il y a une distinction mal comprise, et pas une indistinction. L’ambiguïté n’est pas non plus la complexité, faite elle aussi de plusieurs éléments.
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Nous sommes en permanence confrontés à l’ambiguïté du monde tel qu’il nous apparaît. D’abord, car nous sommes pris dans l’historicité. Le monde devient, et nous ne savons pas ce qu’il va devenir. Dès lors, un événement et une parole peuvent s’avérer bons ou mauvais selon qu’ils ont des conséquences positives ou négatives, selon qu’ils fécondent telle ou telle situation, relation, opportunité. L’ambiguïté est inséparable de la durée, du processus.
Ensuite, parce que nous avons des points de vue différents. L’auteur danois Jens Christian Grøndahl excelle dans l’art de dire l’ambiguïté. Ainsi, dans l’un de ses romans il note que « Zoé avait appelé la veille pour demander si elle pouvait passer. Emma en fut presque triste, non à cause de la perspective de la visite, mais parce qu’elle l’avait demandé si poliment. » La visite de la fille est une joie pour la mère, et le coup de fil fait plaisir. Mais que cette fille demande la permission de passer indique qu’elle ne se sent plus chez elle, qu’elle est partie, que mère et fille sont désormais comme des étrangères. L’appel est en même temps joie et douleur.
Bref, l’ambiguïté est le visage de la multiplicité de la réalité, des moments, des personnes.
Enfin, l’ambiguïté tient à la limite des mots. Un mot dit toujours quelque chose, et ce faisant il ne dit pas d’autres choses. L’ « en même temps » lui échappe. Certes, il existe des différences entre les types de mots ou d’usages. Ainsi, le concept appelle une définition précise, une limitation la plus claire possible, alors que la métaphore joue au contraire sur l’écho entre plusieurs signifiés. Mais le mot reste un enfermement. Au point que le philosophe Chaïm Perelman ait imaginé l’idée de « notion floue » pour pousser les murs de cet enfermement. « En assouplissant une notion, dit-il, on élargit son champ d’application, on lui permet d’échapper aux critiques, mais en même temps on la rend plus floue et plus confuse. Par contre, en la précisant, on la clarifie, mais on la raidit, et on la rend inapplicable dans bon nombre de cas. C’est ainsi que l’idée de justice peut être précisée si on la définit par la conformité avec le droit en vigueur : est injuste celui qui viole la loi. Cette conception statique et conformiste de la notion de justice nous laisse sans réponse à la question : « La loi à laquelle on vous demande de vous conformer est-elle elle-même une loi juste ?» Quel sera le critère pour en décider ? » Parfois, pour être pertinent, il faut être flou.
Bref, l’ambiguïté est le visage de la multiplicité de la réalité, des moments, des personnes.
Il arrive que, dans notre comportement, nous ayons la tentation d’être flous, de ne pas trancher, d’attendre de voir ce que cela donne. Car nous savons qu’une situation que nous pensons bloquée peut se débloquer, qu’elle est donc autre chose que ce qu’elle laisse à penser. Nous savons aussi qu’il est prudent d’être prudent, qu’il ne faut pas toujours appeler un chat un chat car il pourrait être un tigre, ou à l’inverse qu’un géant pourrait avoir des pieds d’argile et nécessiter une certaine tendresse.
En fait, nous avons du mal à penser l’ambiguïté, et avec l’ambiguïté. Sans doute parce que la couleur franche nous rassure, qu’il est plus confortable de se savoir dans tel camp ou de pouvoir mettre untel dans telle boite. Mais aussi parce que la logique européenne issue d’Aristote repose sur les principes d’identité, de non-contradiction et de tiers exclu. À l’inverse, la logique asiatique – ou celle de la sagesse – autorise l’ambiguïté avec un quatrième lemme, ce qui est à la fois A et Ā (non-A). Et, plus profondément, parce que notre esprit est formaté afin de simplifier. Ainsi, lorsqu’une image ou un son est plurivoque, nous ne percevons d’abord qu’un seul sens : celui qui est le plus cohérent avec nos idées, habitudes, avec le contexte. Il s’agit d’un phénomène de réduction de l’ambiguïté, documenté par les études sur les biais cognitifs.
Pourtant, nous aurions tout intérêt à céder plus largement à notre tentation occasionnelle. Nous devrions davantage accepter de ne pas savoir avec exactitude et prendre le parti de naviguer dans le brouillard. Cela pourrait nous permettre de gagner en liberté et en intelligence. Car nous serions plus ouverts, plus disponibles pour rencontrer les autres, identifier le potentiel des situations, voir et saisir les opportunités de la vie. Sur un plan politique, prendre en compte l’ambiguïté des uns, des autres, des situations pourrait notamment permettre d’éviter les œillères des combats « de classes » et « de cultures », contre « le bourgeois » ou « l’étranger », ces fantasmes bien purs et bien commodes.
Reste à savoir comment faire. Car notre temps est hostile à l’ambiguïté. Dans toutes les démocraties, les mouvements populistes gagnent du terrain : qu’ils soient de gauche ou de droite, ils reposent sur la certitude. Avec les réseaux sociaux et les algorithmes à la source des bulles d’information, la mode est au tranchant. Et avec l’épidémie psychologisante et de développement personnel, l’obsession de l’identité envahit l’espace de l’introspection. Malgré les apprentissages de la science et les avancées de la pensée, souvent dans le discours ambiant la substance garde encore l’ascendant sur le processus, l’être sur le devenir.
Deux moyens au moins peuvent contribuer à sortir de ces certitudes univoques.
Le premier consiste à changer d’axe. La plupart du temps, nous vivons dans l’axe horizontal du moment présent. Et, en ce moment, les savoirs, écarts ou les tensions sont ce qu’ils sont. Par contre, si l’on envisage la verticalité de la durée, c’est tout autre chose. Celui qui est aujourd’hui un adversaire pourrait devenir demain un allié, le déchet pourrait s’avérer être une ressource, le problème un élément de solution. Mettre les choses en perspective dynamique permet de les déboiter de leur identité, comme on le fait quand on dessertit une pierre qui peut alors passer de la bague à la broche.
Le second consiste à objectiver et contextualiser. C’est ce que préconise par exemple la méthode de négociation développée dans le cadre du projet de Fisher et Ury à Harvard. Elle opère quatre glissements par rapport à nos habitudes de discussion : traiter des questions de différends et non de personnes, se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les positions, imaginer un large éventail d’options avant de choisir une solution, et définir des critères objectifs pour juger des résultats attendus. Dans cette approche, qui a fait ses preuves aussi bien en matière de résolution de conflits internationaux que de commerce, il s’agit aussi de rouvrir le jeu. Il n’y a pas un affrontement arrêté, mais des éléments qui peuvent être vus d’une manière ou d’une autre, et qui dès lors se discutent.
Dans les deux cas, il s’agit de se décentrer. Ce faisant, on laisse la situation parler d’elle-même. C’est-à-dire ne rien dire, permettre une diversité d’interprétations, apparaître dans son ambiguïté. Peut-être rejoignons-nous même la conception bouddhiste d’une réalité sans substance, avec des phénomènes qui ne sont que vacuité (sûnyatâ) et existent seulement dans l’interdépendance.
Enfin, la valorisation de l’ambiguïté est peut-être ambiguë. Car si tous les événements sont ambigus, ne faut-il pas reconnaitre à une infime minorité d’entre eux un caractère net, en positif ou négatif ? Sauver un enfant qui risque de tomber dans un puits, pour reprendre l’exemple de Mencius, n’est-ce pas bien en toutes circonstances ? Et exterminer un peuple, n’est-ce pas toujours mal ? Défendre l’ambiguïté en tout cas serait alors ambigu, car nous passerions au-delà de la frontière d’une vie contenue dans certaines limites, sans plus aucune résistance. Or, l’humanité ne réside-t-elle pas dans cette résistance à des dérives ? Totalement ouverts à l’ambigu, ne serions-nous pas dans l’ambiguïté d’un humain qui ne s’assume pas ?
Mais le risque du manque d’ambiguïté est sans doute aujourd’hui bien plus important que le risque de son excès.
Avancer que « la terre est bleue comme une orange » a encore tout son sens…
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Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?
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