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PUNIR DES CHÔMEURS OU DES POLITIQUES

La sanction des chômeurs arrive dans les déclarations préélectorales. C’est pourtant une solution contestée par les études d’impact. Ne faudrait-il pas plutôt punir les discours démagogiques ?

9 Mar 2023

La sanction des chômeurs de longue durée refait surface. Dans le feu naissant de la prochaine campagne électorale, les esprits s’échauffent et des ténors partisans nous chantent diverses positions tantôt réalistes, offensives, protectrices ! Chacun y va de sa référence pour se justifier, au point qu’il devient difficile de se faire une opinion. Alors repartons des faits, et tentons un recul critique.

INCERTITUDE SUR LA SOLUTION

Quant aux faits, les études sont contradictoires. Selon certaines, les chances que les chômeurs reprennent le travail augmentent quand ils sont sur le point de perdre tout ou partie de leurs allocations. 

Mais, concernant la dégressivité, beaucoup de travaux constatent qu’elle peut s’avérer contre performante. Parce que les profils, parcours et contextes ne sont pas homogènes, elle risque de précariser le public visé au lieu de le stimuler. Ainsi l’ONEM, dans son « évaluation de l’impact sur les transitions vers l’emploi entre 2010 et 2020 », indique que la dégressivité renforcée introduite en 2012 « n’a pas permis de déceler une évolution à la hausse des sorties du chômage vers l’emploi ». L’OFCE français parle « de nombreuses conséquences délétères » du mécanisme. Dans les Regards Économiques de l’UCL, plusieurs académiques font référence à la réforme des allocations en Suède où il s’avère que la dégressivité fonctionne mieux pour le chômage de courte que de longue durée. 

Concernant l’exclusion, on se souvient que celle de dizaines de milliers de chômeurs en 2014 a eu pour effet principal non pas de mettre massivement des citoyens au travail, mais de les transférer à la charge des CPAS. 

On peut donc partager l’appel à la prudence des chercheurs de Louvain : « avant de prendre des décisions qui pourraient avoir des conséquences fort négatives sur un des fondements de notre État providence, le gouvernement serait bien avisé de d’abord faire analyser cette question avec la profondeur requise. » 

CERTITUDE SUR LES PROBLÈMES

Pour autant, ce doute sur les sanctions ne signifie pas que nous puissions nous satisfaire du statu quo. Car deux faits, eux sans ambiguïté, montrent la nécessité d’agir. D’une part, il existe un découragement à travailler en raison du faible écart entre salaires et allocations,   le « piège à l’emploi » déjà  bien documenté. D’autre part, le risque de pauvreté et d’exclusion est 11 fois plus important pour une personne au chômage que pour celle ayant un emploi.

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Comment partir de la situation plutôt que de l’individu ?

En montagne, si on risque de ne pas rentrer tous vivants en suivant un chemin, on cherche évidemment une autre voie. La mort sociale de certains d’entre nous, par le décrochage d’activité, de revenus et de liens, impose un même exercice d’exploration. Ce dernier peut passer par deux questions.

CHERCHER D’AUTRES VOIES

Premièrement, comment le travail peut-il être plus attrayant ? Ce n’est pas seulement le problème de 120.000 chômeurs de longue durée. C’est aussi celui des 500.000 malades de longue durée qui n’en peuvent plus de leur boulot, plus largement de ces 1.600.000 « inactifs » en âge de travailler mais qui ne montent pas sur le terrain, ou de ces 17% de travailleurs délibérément désengagés (enquête Gallup). Les exclus potentiels du chômage représentent à peine la partie visible de l’iceberg. Comment permettre plus de sens au travail ? Plus d’autonomie dans un cadre clair et juste ? Plus de reconnaissance ? Comment inventer des formes nouvelles dans les dynamiques RH (comme chez Easi), l’action sociale (Duo for a Job, Capital), la formation (BeCode ou Molengeek) ?

Deuxièmement, comment partir de la situation plutôt que de l’individu ? La remise à l’emploi est avant tout traitée sous l’angle du solitaire qui doit faire preuve de volonté, se former, se déplacer… Cette approche n’est-elle pas illusoire ? Car on sait, notamment par les travaux de Mullainathan sur la rareté, que le contexte est décisif. Une même personne fait preuve de capacités de compréhension et de décision différentes selon son niveau de stress. À la veille d’un examen ou d’une opération, la bande passante de notre esprit est saturée et nous pensons moins bien. Si chacun est responsable de ce qu’il fait, il ne l’est pas toujours de l’endroit où il se trouve ni des conditions de son existence. Alors comment agir par les liens ? Par l’amont ? Par l’à-côté ? Par l’environnement et la communauté dans laquelle une personne est inscrite ? 

WEST SIDE STORY ÉLECTORAL

Certes, il peut paraître facile de poser des questions. Mais le chômage de longue durée persiste, notre taux d’activité est un des plus bas d’Europe et une part de la population s’enfonce sous le radar, passant de l’existence à la survie. 

Aussi, la facilité se trouve peut-être du côté de certains politiques qui s’accrochent à une vieille recette dangereuse. Se chamaillant dans une impasse, ils se la jouent West Side Story pour charmer les électeurs. 

Plutôt que le chômage de longue durée, n’est-ce pas ce cette pratique-là qu’il s’agirait de sanctionner ?

Paru dans L’écho en date du 24/04

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