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Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient.
Avec la montée du populisme de gauche et de la radicalisation associative, la lutte des classes retrouve des couleurs. Mais on peut penser que ce paradigme est devenu inadéquat. La notion d’alliance conflictuelle pourrait s’avérer plus féconde : pour construire une société civilisée et décente, pour alimenter une méthode politique pertinente, pour étayer la démocratie.
Merci à EdC, TF et Ph.L de leurs lectures et critiques précieuses
« À bas les riches et vive l’égalité ! » Le mot d’ordre a la cote ces derniers temps. Entre le projet de loi fédérale de taxation exceptionnelle des millionnaires, la montée du PTB et le durcissement par ricochet du PS, la livraison annuelle du rapport d’Oxfam ou la naissance du nouveau think tank Ines, on ne sait plus où donner de la revendication.
On peut comprendre et se réjouir de cette efflorescence. Car l’enchainement de la crise Covid et de l’inflation a encore fragilisé une partie de la population qui était déjà en situation difficile. Les derniers chiffres fournis par Statbel confortent l’analyse de la pauvreté que nous avons réalisée avec Jean Hindriks il y a quelques mois. En regard, les profits exceptionnels du secteur de l’énergie ou la multiplication des milliardaires paraissent inacceptables.
La lutte contre l’inégalité et la domination de classes peut donc sembler légitime. Et elle l’est, si l’on fait droit au sentiment d’urgence ainsi qu’au scandale de la différence injustifiée des existences. Mais il y a d’autres points de vue, notamment ceux de la longue durée et de la valorisation de la diversité.
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Dans cette double perspective du temps long et de la diversité, on peut se demander si la lutte des classes n’est pas aujourd’hui, chez nous, devenue inadéquate.
Cette lutte a incontestablement permis de structurer le combat social et d’améliorer les conditions de vie aux XIXe et XXe siècles. Mais elle se manifeste maintenant, entre autres, par le blocage de la démocratie sociale en Belgique, le sabotage du débat sur les retraites au Parlement français par LFI, ou l’ambiguïté du travaillisme à la Corbyn dans le Brexit. On peut craindre qu’elle se retourne contre les plus fragiles.
Les défenseurs de ce paradigme de lutte défendront qu’il n’a rien perdu de sa nécessité. Il suffirait pour s’en convaincre de voir comment, par exemple, les grands groupes hôteliers traitent leur personnel de chambre ou la grande distribution ses caissières et magasiniers. Le conflit social chez Delhaize serait exemplaire, la preuve que le grand capital considère toujours les êtres humains comme de la chair à tiroir-caisse. Mais ne serait-ce pas prendre la partie pour le tout ? Car, en Belgique et dans bon nombre de pays européens, l’utilitarisme du capitalisme brutal ne concerne qu’une partie minoritaire de l’activité économique et des rapports sociaux.
Dans notre pays, seules environ 500 000 personnes, soit environ 12% des travailleurs, sont actives dans des grandes entreprises privées de plus de 500 travailleurs. Nous pourrions, de manière très schématique, considérer que ces personnes sont potentiellement victimes de la brutalité capitaliste. Ce serait très imprécis et imprudent. Mais, pour penser au poids, prenons ce risque de la caricature et de l’erreur. Les autres travailleurs (3,6 millions) sont engagés dans des structures privées plus petites (dont 1,5 million dans des PME), et dans des structures publiques (1,1 million) ou parapubliques comme les asbl. Ces autres structures ne sont pas épargnées par la violence interpersonnelle et institutionnelle, mais on ne peut mettre cette violence sur le compte de la cupidité capitaliste. Si l’on prend également en compte les pensionnés et les personnes qui reçoivent des allocations de chômages ou des revenus d’insertion (3 millions), les individus dont les revenus dépendent de grandes entreprises capitalistes potentiellement brutales représentent moins de 10% de ceux qui ont un revenu.
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En Belgique, les travailleurs dans les grandes entreprises capitalistes potentiellement brutales représentent moins de 10% de ceux qui ont un revenu.
Or, le schéma de la lutte des classes imprègne bien au-delà de cette minorité. Elle donne en fait le ton aux négociations sociales, y compris au sein du secteur (para)public, ainsi qu’aux discours des partis de gauche et aux plaidoyers d’une partie du monde associatif. On peut penser que cette approche ne correspond pas à la complexité de la réalité. Car elle repose sur la notion d’ennemi. L’autre étant un ennemi, il est logique que l’on s’en méfie et cherche à le battre. Ce faisant, on se condamne à ne pas pouvoir le rencontrer. On s’interdit d’être instruit par lui, ému, de pouvoir admirer ses qualités et profiter de ses bons côtés : « nous ne sommes pas du même monde ». Ce refus mène inévitablement à la non-coopération, donc à des solutions sous-optimales. Si les deux parties peuvent ne pas perdre en termes absolus, en tout cas elles ne gagnent pas tout ce qu’elles pourraient gagner si elles étaient dans une logique de reconnaissance mutuelle, curieuses et positives. Affirmons qu’un gâchis, un coût d’opportunité disent les économistes, est bien une perte de possible positif.
Ce gâchis repose sur une double myopie des « classes supérieures » et des « classes populaires ». Il est plus simple d’utiliser ces termes entre guillemets que de parler, par exemple, des personnes situées dans le premier ou dans le dernier décile de revenus. Cela n’empêche, en tant que démocrate, de considérer que les personnes au capital élevé n’ont rien de supérieur. Et, avec divers sociologues, on peut penser que si les personnes aux petits revenus existent encore, il n’est pas certain qu’existent toujours des classes populaires conscientes d’elles-mêmes, de leurs spécificités, cohérences, cultures et intérêts.
Une myopie des « classes supérieures » réside dans le fait que certains de ses membres croient mériter leur situation. Or, sans nier l’importance des efforts fournis par les uns et les autres, leur situation tient avant tout à des éléments qui ne dépendent pas d’eux. D’abord, ils ont gagné à la loterie du hasard de la naissance. Même Warren Buffet l’a reconnu en indiquant qu’il ne serait sans doute pas devenu milliardaire s’il avait grandi dans un village kenyan. Ensuite, ils doivent leur fortune à la solidarité et à l’État. Sans parler des réseaux et de l’entre-soi ascensionnel ni de l’héritage, c’est bien parce qu’ils utilisent les infrastructures et les services publics que les riches sont riches. Le système d’enseignement, en particulier, est un élément clé de leurs enrichissements et transmissions. Chez nous, l’université est soi-disant accessible à tous. Le mythe tient au faible coût d’inscription rendu possible par les impôts de tous, y compris des pauvres. Mais la réussite est largement liée à la classe d’origine et les pauvres échouent massivement. L’effet Matthieu est donc bien plus important que le mérite individuel : les moyens publics censés permettre à tous de progresser vont en fait à ceux qui en ont le moins besoin. Cette myopie contribue à une conviction délirante ravageuse pour la cohésion sociale : si les riches méritent leur richesse, les pauvres méritent leur pauvreté.
Une myopie des « classes populaires » réside quant à elle dans l’impasse faite sur une question importante : à quoi servent les riches ? Bien sûr, on peut comme bien des pauvres considérer qu’ils ne servent à rien de bien, qu’ils n’ont qu’un rôle négatif dans l’histoire et sont à l’origine de tous les maux. Une telle affirmation pose cependant question : si les riches sont si négatifs, pourquoi les acceptons-nous ? Puisqu’ils ne sont qu’une minorité, nous pourrions les décapiter. D’ailleurs cela s’est fait. Mais, curieusement, les têtes repoussent à chaque fois. Par conséquent, peut-être faut-il penser que si nous acceptons les riches c’est parce qu’ils nous sont, d’une certaine manière, utiles à tous. Qu’ils ont une fonction importante et positive. Une fonction qui pourrait être, osons l’hypothèse, de produire de la richesse.
Car cette richesse, même si elle est officiellement propriété privée, est en fait un bien commun. C’est en effet l’accumulation progressive de richesses produites collectivement qui a permis le développement d’Athènes (que nous pouvons encore contempler sous une forme plus embouteillée qu’en – 328), les cathédrales du XIIe (où tous nos ancêtres ont prié et où nous pouvons toujours nous recueillir), les institutions, savoirs et techniques élaborées peu à peu (qui nous permettent de vivre comme nous vivons aujourd’hui). Certes, la dynamique de la richesse qui profite à tous est un vieil argument de la droite. Est-il faux pour autant ? Oui, si l’on défend une stricte théorie du ruissellement qui a été scientifiquement critiquée, y compris par le FMI. Mais non, si l’on observe plus largement le développement historique. Venise serait-elle devenue une source de civilisation plus féconde que celle qu’elle fut si elle avait été dirigée pendant plusieurs siècles par un hiérarque soviétique, plutôt que par le subtil processus d’une république oligarchique ?
Il nous faut ôter nos œillères, séculaires, qui rendent possible la lutte des classes, aujourd’hui contreperformante.
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Le schéma de l’alliance conflictuelle pourrait remplacer celui de la lutte des classes. Il permettrait de réinjecter une éthique relationnelle dans la pratique politique, et ouvrir à une approche pragmatiste.
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Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
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