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Par où passer pour vivre avec sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions, qui racontent des histoires, ceux d’occident et d’orient.
« Le marché contre l’humanité ». Tout est dans le titre du dernier livre de Dominique Bourg.
L’universitaire franco-suisse, auteur d’une œuvre largement consacrée à la pensée écologique, avance que nous serions aujourd’hui confrontés à une disparition du pouvoir des États. Ceux-ci, s’évaporant sous l’effet d’un marché globalisé, ne pourraient plus faire obstacle à son action destructrice de la planète et des liens sociaux. La souveraineté est devenue problématique.
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Au premier chapitre, cette souveraineté est d’abord définie comme « la source de la mise en forme de l’existence des individus d’une société par la loi.[i] » Elle peut être explicite, renvoyant à une instance particulière comme l’État ou Église, agissant par la loi formelle, ou implicite, exercée par la société elle-même sans médiation institutionnelle, via des règles tacites.
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Elle peut aussi résider dans plusieurs lieux. En Europe, de la réforme grégorienne du XIe siècle au Traité de Westphalie en 1648, Église et États se sont partagé le pouvoir : ainsi Rome s’est approprié la nomination des clercs, quand les politiques s’occupaient des questions civiles. Mais, à partir du XVIIe, les États reprennent la main, imposent les religions, structurent territoires et marchés : la souveraineté devient unique.
L’auteur émet l’idée que nous pourrions revenir aujourd’hui à un partage de souveraineté, cette fois entre des États et un marché globalisé. Comme l’Église, ce marché dispose d’un territoire transnational et prend appui sur une doctrine. Mais, à la différence de l’Église qui se trouvait dans une position de combat avec l’État, le marché en serait un allié. Il pactiserait avec les élites politiques qui « s’emploient à réduire les marges d’action de l’État »[ii]. Or, ce dernier serait la seule instance à pouvoir contenir la violence économique gonflée par le néolibéralisme.
Nous voiler la face sur le péril que nous courons nous endormirait. Mais dénoncer une soi-disant impuissance face à un marché tout puissant, n’est-ce pas nous aveugler ?
Au deuxième chapitre, Dominique Bourg constate la suspicion qui pèse sur l’idée de progrès, récit occidental « du parcours de l’humanité empruntant la voie de nécessité des techniques et de l’industrie en vue d’atteindre une fin ultime et radieuse »[iii].
L’humanité n’a en fait connu que des progrès partiels, concomitants à des « régrès ». Ainsi la révolution néolithique ne doit-elle pas être vue seulement comme une avancée de la civilisation, mais aussi comme « une première manifestation de décrochage vis-à-vis du milieu»[iv] qui se paie d’un appauvrissement culturel.
La situation que nous connaissons pourrait être du même ordre. L’emballement des avancées techniques dopé par le marché, outre qu’il nous amène à transgresser les limites de la planète et à hypothéquer son habitabilité, risque de nous diminuer. Car les savoir-faire humains sont maintenant remplacés et non plus renforcés. A nouveau, nous risquons de « nous engager dans une voie débouchant sur la restriction du spectre d’expériences de l’immense majorité de l’humanité ».[v]De plus, la technologie utilisée sur les hommes pourrait provoquer entre eux des différences qui ne seraient plus sociales ou morphologiques, mais biologiques, un « éclatement de l’unité de l’espèce et du genre humains. »[vi]
Le troisième et dernier chapitre part de cette question de l’égalité, au cœur de l’écologisation de la société. L’auteur défend deux positions liées : la nécessité d’en rabattre quant à nos prétentions économiques, « accepter de déchoir d’une certaine souveraineté économique »[vii], et celle de réduire les inégalités. Car, outre que les inégalités de fortune mettent en danger l’égalité démocratique, elles risquent d’alimenter la destruction de la planète.
Pour pouvoir agir, il faut redonner de l’autonomie au politique. Il s’agit de réaffirmer et concrétiser la conception hégélienne d’un État au-dessus de la mêlée socio-économique. Il s’agit aussi de dépasser la distinction gauche /droite, qui n’est plus pertinente au regard de l’enjeu environnemental, et d’utiliser plutôt le clivage de Delphine Batho entre terriens et destructeurs.
On le voit, ce livre apporte des éléments de réflexion stimulants. Pour autant, il suscite aussi des questions d’ordre conceptuel, factuel, et de perspective.
Sur le plan conceptuel, on se demande pourquoi l’auteur s’enferme dans une réflexion sur le marché. À la suite de Weber[viii] ou de Braudel[ix], il est fécond de faire la distinction, ici absente, entre économie de marché et capitalisme. La première existe depuis des millénaires ; le second, plus récent, pourrait prêter le flanc aux accusations de nocivité. Ensuite, quand bien même on n’accepterait pas cette distinction, le fait est qu’il existe des marchés avec des acteurs, pratiques et espaces différents : les firmes multinationales manipulant les coûts de transfert font des dégâts sans commune mesure avec le paysan boulanger qui vend en boucle courte.
Enfin, l’auteur semble mettre sur un même pied marché et État. Or, ils sont différents. L’État peut légiférer, une entreprise pas. Et on sait identifier un État : il est reconnu par l’ONU, a une personnalité juridique et peut être attaqué en justice ; ce n’est pas le cas du marché, processus impossible à assigner.
Quant aux faits, l’affirmation centrale de l’impuissance de l’État est discutable. Oui, les États ont du mal à lever l’impôt sur les GAFA. Mais cela n’empêche aucun d’entre eux d’agir dans de nombreuses matières et à plusieurs niveaux. On le comprend à l’efficacité variable de divers systèmes scolaires[x], aux différents taux de chômage ou de pauvreté résultant de politiques distinctes, à l’envol de certaines villes quand d’autres s’enfoncent[xi]. Utilisant 40 à 50% de leur PIB en dépenses publiques[xii], les États solides forgent largement nos cadres de vies. Ils continueront sans doute à le faire à moyen terme, de manière positive et efficace, ou non[xiii].
Enfin, la perspective du livre peut être interrogée. Dominique Bourg écrit que « le marché est le lieu d’une mise à mort économique, avec ses cohortes d’acteurs ruinés, dévalorisés, condamnés au chômage et à l’inutilité sociale »[xiv]. Cette formulation sans nuance éclaire-t-elle la dimension économique dans l’amélioration des conditions de vie partout dans le monde[xv] ? Ce manichéisme ne nous prive-t-il pas d’une réflexion sur les acteurs et les leviers d’une transformation sociale ? Comme on peut distinguer une diversité de marchés, on peut penser la diversité des acteurs. Ainsi la société civile, à peine évoquée, est-elle constituée d’une multitude de projets concrets, de structures et de volontaires qui agissent. Et qui obtiennent des résultats, y compris dans le domaine de l’environnement.
Nous voiler la face sur le péril que nous courons nous endormirait. Mais dénoncer une soi-disant impuissance face à un marché tout puissant, n’est-ce pas nous aveugler ? Bref, avec ce petit opus, Dominique Bourg bouscule sans toujours convaincre. Serait-ce voulu, pour un pamphlet plutôt qu’un essai ?…
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[i] Bourg, D. (2019). Le marché contre l’humanité. Paris : PUF, p. 22.
[ii] Ibid., p. 45.
[iii] Ibid., p. 71.
[iv] Ibid., p. 82.
[v] Ibid., p. 111.
[vi] Ibid., p. 99.
[vii] Ibid., p. 116.
[viii] Weber, M. (2000). L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. (I. Kalinowski, Trad.). Paris : Flammarion. (Œuvre originale publiée en 1905).
[ix] Braudel, F. (1985). La dynamique du capitalisme. Paris : 1985.
[x] Voir par exemple le dernier rapport PISA https://www.oecd.org/pisa/publications/pisa-2018-results.htm
[xi] Barber, B. (2013). If mayors ruled the world: dysfunctional nations, rising cities. New Haven: Yale University Press.
[xii] Voir les données des États de l’OCDE sur https://stats.oecd.org/Index.aspx?Queryid=82342&Lang=fr
[xiii] Sur les possibilités d’alternatives aux politiques libérales, voir par exemple l’ouvrage de Raveaud, G. (2018). Économie : on n’a pas tout essayé. Paris : Seuil.
[xiv] Bourg, D., opcit, p. 66.
[xv] Voir notamment Norberg, J. (2017). Non, ce n’était pas mieux avant. (L. Bury, Trad.). Paris : Plon. (Œuvre originale publiée en 2016).
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