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COMMUNAUTÉ

Ensemble ? La notion d’une communauté de processus, présente chez Martin Buber, permet de penser nos questions politiques dans un nouvel horizon d’engagement.

23 Mar 2021

« La communauté est embouchure et source de la vie. Il n’y a que dans la communauté que nous pouvons manifester pleinement le sentiment que nous possédons de notre vie et qui nous montre la parenté et la communauté de toute la vie cosmique. (…) La vie et la communauté sont les deux faces d’un même être. » [i]

Tirée d’un recueil thématique d’articles écrits entre 1901 et 1956, cette citation témoigne de la place de la question communautaire dans la réflexion de Buber tout au long de sa vie. Figure intellectuelle du XXe siècle, le philosophe était aussi un penseur de la religion, un traducteur de la Bible, un observateur et acteur de son temps. Né à Vienne en 1878 et mort à Jérusalem en 1965, il fut compagnon de route de socialistes utopistes, tel Gustav Landauer, ou des premiers sionistes.

LE LIEU DE VIE

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Si Buber accorde tant d’importance à la communauté, c’est qu’elle est, par excellence, le lieu de l’humanité. Elle constitue l’endroit où l’on engage « de manière absolue toute son existence » (p. 64). Son enjeu est une union de vie, et pas seulement d’intérêts ou de sentiments qui sont, eux, le propre de la société.

Car si la société règle la vie par convention extérieure, la vie communautaire permet un façonnement intérieur, une « vie réelle entre l’homme et l’homme » (45). Au sein de la communauté, on peut rencontrer les autres dans leur dimension personnelle. Reprenant les termes de son œuvre la plus connue, ‘Ich und Du’ [ii], le philosophe indique que l’autre y est un ‘tu’ pour le ‘je’, et non un objet, un ‘cela’.

En permettant ce type de relations, la communauté est révolutionnaire. Ou, plutôt, la ‘révolution’ y prend un sens nouveau : « pour nous la révolution, ce n’est pas renverser de vieilles choses, c’est vivre de nouvelles choses » (32).

Cela posé, si la nécessité de la communauté demeure au fil de l’œuvre, sa conception va par contre évoluer. 

CHEZ SOI

Dans un premier temps, Buber reprend la distinction établie par Tönnies [iii]. Fin XIXe, ce sociologue définit la communauté comme le groupe humain naturel, soudé par une volonté première, l’instinct, l’habitude, une même vision du monde – la Weltanschauung -. C’est un « chez soi » où l’on jouit de biens communs, un tout organique, solidaire, consensuel. Avant d’être un individu, on y est fondu dans un tout.  

« Une communauté se forme, écrit Buber, (…) quand tous ceux qui se lient ensemble sentent et savent qu’il y a quelque chose en leur centre (…) qu’ils peuvent servir de la façon dont ce centre l’exige d’eux. Aussi est-ce en traçant, non pas un cercle, mais des rayons vers un centre, qu’une communauté apparaît.» (68). 

 ” Outre ces grandes communautés qui existent à partir d’un fondement primordial, [il existe] une communauté qui a lieu, une communauté comme processus.”  (M.B.)

Cette conception permet de comprendre les deux grandes formes historiques de communauté : nationale et religieuse. La première est celle d’un peuple qui partage un destin sur un territoire ; la seconde est celle d’un groupe de croyants qui partagent une foi, « une fidélité au centre vivant » (71). Cependant, « de nos jours, on ne trouve dans la vie réelle que des restes des communautés » (73). Ce type de communauté initiale, remplacée par la société, ne nous est plus accessible. 

Pour autant, s’il « ne nous est pas possible de retourner à cette totalité élémentaire (…) nous pouvons nous rapprocher d’une autre totalité (…) créée à partir d’une véritable substance spirituelle. (…) Nous ne pouvons pas revenir à l’époque d’avant la société mécanisée ; mais nous pouvons la dépasser vers une nouvelle organicité. » (41). 

AVEC LES AUTRES

Pour cela, nous devons changer de modèle et imaginer un regroupement d’un autre type.  « Outre ces grandes communautés historiques, ces communautés qui existent à partir d’un fondement primordial, [il existe] une communauté qui a lieu, une communauté comme processus. 

Ce (…) type de communauté a toujours été et est toujours présent dans l’histoire et je crois effectivement qu’il peut exister dans les temps actuels : il est présent quand un groupe de personnes – peu importe qu’il soit issu d’une communauté historique, d’une seule communauté de destin et de foi ou de plusieurs – partage l’expérience d’une situation commune par voie de catastrophe et de bouleversement, au moment de la plus vive émotion et de la grande décision, et qu’il réagit à cette situation par une attitude et une action communes. C’est ainsi, et par là justement, qu’il devient une communauté.» (p. 79).

La relance de la communauté est donc un renouvellement profond, le passage d’une définition essentielle à une conception dynamique. Et, pour cela, il faut un point d’Archimède qui permet de « partager l’expérience de la situation dans laquelle on se trouve historiquement et d’y répondre collectivement. » (80) 

 

UN NOUVEL HORIZON

Bien que développée il y a des décennies, et cohérente avec les travaux de pragmatistes comme Dewey qui datent eux aussi, cette conception de la communauté de processus reste d’une formidable actualité. 

D’abord, certainement, car elle permet de penser la vie dans les groupes et entre les groupes d’une manière ouverte et positive, plutôt que dans la méfiance et le conflit. 

Ensuite, éventuellement, parce cette logique pourrait contribuer à répondre à une attente communautaire. Si peu d’entre nous sont prêts à s’enfermer dans une communauté rigide et exclusive, nous sommes par contre nombreux à désirer davantage de vie commune. Et la communauté d’action, d’avenir plus de que passé, pourrait être un nouvel horizon d’engagement. 

Avec la pauvreté et l’isolement présents et à venir, les questions climatiques ou les polarisations culturelles, ce ne sont pas les défis communs et opportunités d’engagement qui manquent… 

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[i] Buber M. (2018).  Communauté. Paris : Éditions de l’éclat, pp. 23-24.

[ii] Buber, M. (2012). Je et tu. Paris : Aubier

[iii] Tönnies, F. (2010). Communauté et société. Paris : PUF.

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