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Par où passer pour vivre avec  sagesse ? Cherchons dans les mots, ceux qui définissent des notions,  qui racontent des histoires,  ceux d’occident  et d’orient.

LES MAINS ROUGES

Et si tout n’était pas aussi solide ?

23 Feb 2023

« Je l’ai rencontrée un été à la fin des années soixante-dix, quand je travaillais à la Gare Centrale, au service de réservation des hôtels. Elle est arrivée un soir par le dernier train de Hambourg. » Elle, la jeune fille, demande au narrateur, alors étudiant, de lui garder une clé de consigne. Elle passe un temps avec lui, puis disparaît. Il ouvre la consigne et y découvre un magot.

Ainsi commence « Les mains rouges », bref roman lumineux du Danois Jens Christian Grøndahl. En quelques lignes, quelques pages, vous serez ferré comme un poisson de la Baltique.

RÉCIT STYLÉ

D’abord, par le récit passionnant. La jeune fille réapparaît, quinze ans plus tard. Par hasard, il la voit faire la file dans un magasin. Il la suit, alors qu’il devrait être en train de retrouver sa femme pour aller chez des amis. Il découvre sa maison, son mari. Il va l’aborder, la revoir, apprendre que l’argent abandonné venait d’un braquage commis par l’extrême gauche allemande. Puis il… Mais non, ne gâchons pas le suspens.

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Aussi, par le style. Il y a cette précision, cinématographique, avec des objets, gestes ou lieux : cette statue au fond de la valise, cette façon de souffler la fumée par le coin des lèvres, ce sanatorium abandonné dont on croit entendre le plancher craquer. Il y a ces personnages secondaires, si présents qu’on en sent la sueur ou au contraire esquissés en ombre chinoise, pris entre un rideau de pudeur et l’éclairage d’un désir. Et il y a les métaphores : le silence rompu par des voitures qui passent comme la surface d’une piscine par des rides, une explication qui jaunit avant de s’effacer, les mots qui s’ordonnent selon le magnétisme de l’espoir tel des bouts de limaille qui obéissent idiotement…

L’INTIME & L’OBJECTIF

Surtout, vous risquez d’être emportés car le texte de Grøndahl est un formidable exhausteur de pensée. Peut-être ce livre-ci alimente-t-il en particulier une réflexion sur l’histoire et la violence. Il interroge notamment l’engagement comme manière de dépasser un rapport abstrait au monde. Un des personnages se lance dans l’action politique au terme d’une manifestation. Benno Ohnesorg, jeune étudiant, y est tué à ses côtés. Cette mort, réelle et non fictive, a été un des éléments déclencheurs de la contestation de la fin des années ‘60. Il y avait bien des raisons de s’engager avant. Mais la balle d’un policier logée dans le crâne de Benno rend la lutte palpable. 

Mais dans la vie normale, celle « des cercles prévisibles autour de la maison dans la banlieue chic » (38), il y a aussi la possibilité d’un trouble.

Chacun, au hasard de sa vie, peut être confronté à des événements précis que normalement « on connait seulement par la télé » (61). Toutefois, si la politique est une affaire concrète, comment éviter qu’elle ne se perde dans le personnel ? « Cette perspective personnelle était en soi injuste car il ne pouvait être question de justice si elle n’était pas valable pour tous. (…) La lutte pour la justice n’était pas un conflit personnel.» (75) Mais alors, peu importe une victime involontaire ? Comment concilier l’intime et l’objectif, le précis et l’universel ? Comment  transformer leur contradiction en tension fertile ? La question, située dans le passé lointain des brigades rouges, garde toute sa pertinence en nos jours de surgeons radicaux. 

Pareille ouverture sur la politique n’est pas rien. Mais ce n’est peut-être pas le plus important. Dans ce roman, comme dans tous les autres que j’ai lus de Grøndahl, l’auteur nous ouvre, surtout, au jeu de la vie.

JEU

Il y a le jeu comme possibilité de s’amuser avec la réalité. Par exemple, s’installer à une table de café et décider « de ne pas bouger tant que toutes les personnes assises aux tables voisines n’auraient pas été remplacées par de nouveaux clients » (40), ou s’amuser avec l’éclat de lumière provoqué par le ricochet du soleil sur un couteau, ou prendre une fausse identité et porter une perruque. 

Et il y a le jeu en tant que mouvement possible dans la réalité, le flottement. Ce flottement existe en particulier à certains moments décisifs. « Les événements dont je vais parler se sont passés avant que ma vie ne prenne forme. Elle pouvait encore partir dans toutes les directions, comme lorsque l’on erre au hasard, par un soir d’été. On est jeune, on se dit que tout est possible, même s’il n’arrive pas grand-chose pour autant. » (14)

Mais dans la vie normale, celle « des cercles prévisibles autour de la maison dans la banlieue chic » (38), il y a aussi la possibilité d’un trouble. Cela peut émerger avec le souvenir : « combien de fois n’ai-je pas emprunté le même itinéraire depuis ce jour. C’est toujours moi, ce jeune homme qui allait par les rues de Copenhague, désorienté, une clé de consigne en poche, et j’en sais à peine plus sur lui que ce qu’il pouvait deviner sur celui que je suis aujourd’hui. » (14). Par le souvenir, c’est en fait le gouffre d’une distance entre les différents temps de soi-même qui s’ouvre. 

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UN AUTRE LANGAGE

Dans ce livre économe où rien n’est laissé au hasard – ni la mise en abime, ni l’incise ou la transposition -, les deux pistes de la politique et de l’intime se rejoignent. Grøndahl nous invite à chercher un autre regard qui serait adéquat pour le deux. 

Parce qu’à un moment « on se rend compte que la réalité n’est pas une question de ce que l’on ressent. On ne ressent pas la douleur des Vietnamiens, on se contente de la voir, c’est seulement une image. Il faut donc ne pas tenir compte des sentiments pour être en contact avec la réalité. Il faut trouver une autre langue qui nous mette en contact avec sa nécessité. » (162). Et cette autre langue, suivant l’appel de Wittgenstein, devrait peut-être montrer quand dire n’a pas de sens. 

« Ils n’avaient rien dit après le premier baiser. C’était comme si, chacun de son côté, ils avaient pensé qu’il fallait choisir, parler ou s’embrasser, et que le moindre mot les aurait mis dans l’impossibilité d’aller plus avant. De toute évidence, ils le désiraient tous les deux, et même quand ils ne purent aller plus loin, quand ils se retrouvèrent en sueur, côte à côté, ils ne dirent toujours rien. Les mots auraient rendu la chose étonnante, car ils auraient été soit trop anodins comparés à l’étrangeté de la situation, soit trop étrangers eu égard à l’intimité soudaine. Aussi longtemps qu’ils se taisaient, il n’y avait rien de surprenant. Tant qu’ils restaient allongés à partager la même cigarette, la situation était ce qu’elle était, ni étrange ni son contraire, ni importante ni insignifiante. Elle avait envie que cela dure, que cela continue. » (57)

Nous aussi, lecteurs, nous avons envie que cela continue. Nous avons envie d’être intrigués par d’autres vies imaginaires, d’être amenés à douter de la solidité des phénomènes, du caractère révolu des souvenirs, de nous-mêmes.

Par bonheur, il y a d’autres Grøndahl à lire.

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