Écrire à un ami
Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais ceci est fidèle à nos échanges.
Montagne, 10.000/20 & canapé
Cher P,
Comment mener une existence canopéenne ?
Allez zou, encore une question chtarbée !
Mais non, j’t’explique…
L’autre jour de randonnée en montagne, traversant une forêt avant les alpages, j’étais ébloui. D’habitude, l’étage boisé est fait de résineux. C’est dense, sombre, parfois même empreint d’une pointe de tristesse qu’émousse toutefois la joie anticipée de la vue infinie au sommet ainsi que le souvenir de la vallée folâtrant au gré des serpentins de sa rivière. Mais, là, c’était des feuillus. Et de haute futaie. La canopée, étage supérieur, semblait tout à la fois dense et légère.
J’étais ébloui par la beauté du tableau, de ce chemin s’avançant dans le clair-obscur lumineux. Clair-obscur, c’est censé être clair et obscur, c’est-à-dire ni pas vraiment mais quand même un peu, un entre-deux tiédasse. Là, c’était clairement sombre, mais parfaitement lumineux. Tu sais, comme dans un tableau de Georges de Latour où une bougie suffit à illuminer les ténèbres.
Et, surtout, j’étais émerveillé par la modestie des grands chênes. Car leur effet était aussi massif que leur présence discrète. En fait, ai-je lu plus tard, c’est que leur surface terrière était bonne. C’est-à-dire que leur peuplement était équilibré, que la surface totale de leurs troncs n’était pas trop importante par rapport à celle de la parcelle : de l’ordre de 20m2… par hectare. Tu vois le truc mon Pierre ? Comme un hectare c’est 100m x 100m = 10000m2, leur multiplicateur ombrageant (10000/20) est de 500. Ils apportent du frais à 500 fois plus d’espace que celui qu’ils utilisent au sol.
Alors, que j’me demandais, comment moi aussi pourrais-je apporter du bon pour 500 fois la place que je prends ?
Sans doute faudrait-il que je sois capable de produire, au-dessus, des feuilles et des feuilles et des feuilles pour tirer le plus loin possible mes branches. Aussi pensai-je au Tonglen. Tu sais, cette pratique rigolote des bouddhistes. Exercice de donner-recevoir qu’ils disent : quand on expire, on fait don de ses plaisirs, de son bonheur, de tout ce qui est agréable ; quand on inspire, on aspire toutes les rancunes, tous les problèmes, ce qui est désagréable. Autrement dit, on filtre l’atmosphère des méchantes idées qui s’y baladent.
Et sans doute aussi devrais-je être capable de puiser, en dessous, les éléments les plus nourrissants afin de pouvoir être sain, robuste, élancé. Aussi pensai-je à la synthèse.
Je partage
D’accord les bouddhistes sont sympas, nous rappelant notre vacuité et celle de nos mots, de nos émotions, de nos vies même. Pas faux, mais pas que vrai. Car il y a aussi l’imaginaire avec lequel nous ne pouvons pas ne pas vivre, cette autre dimension où tout peut être dit, reformulé, débattu à l’instar de ce que font à l’infini les rabbins de la tradition juive. Et il y a aussi l’amour, que l’on ne peut pas seulement considérer comme un aveuglement, un divertissement. N’est-il pas aussi un de nos ressorts inestimables, une caractéristique que le christianisme a mis en son cœur ? Il y a cinq règnes, écrivait Péguy : « le règne minéral, le règne végétal, le règne animal, le règne humain et le règne chrétien… Et il n’y a pas moins d’écart et il n’y a pas moins d’avènement et il n’y a pas moins de discontinuité du troisième au quatrième, et du quatrième au cinquième, qu’entre n’importe lesquels des trois autres. ». Et enfin il y a la vie qui sans cesse bifurque, trouve des chemins, développe des fonctions, des formes, cette acharnée que nous décrit la biologie.
Puiser le plus possible à toutes les sources complémentaires pour en extraire de quoi tenir droit et produire un max d’oxygène…
Bref, la canopée plutôt que le canapé.
Tu vois, c’est pas compliqué !
Je partage
Je découvre
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Écrire à un ami Viallate, maître en chronique, disait que l’on n’écrit bien qu’en s’adressant à une personne en particulier. L’ami P. est mort, mais
Interroger le monde Le monde, ici, maintenant, à l’horizon de demain et ailleurs. Événements, faits, chiffres : essayer de les regarder pour voir, situer, peser,
Encore !
Et si j’ai un désir torride, fulgurant et irrépressible d’être tenu au courant des nouvelles publications ?
Site conçu et réalisé par Juliane Van Cauter
English